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Rino Della Negra dans Le Parisien

lundi 21 février 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Le Parisien, le lundi 21 février 2022.

Il consacre un livre à « Rino », le footballeur-résistant du Red Star

Saint-Ouen. Docteur en histoire contemporaine, Dimitri Manessis a coécrit une biographie à propos de Rino Della Negra, attaquant et membre des FTP-MOI, fusillé au Mont-Valérien à l’âge de 20 ans.

C’est l’histoire d’un doctorant en histoire, qui se rend un matin à l’université de Dijon (Côte-d’Or), les couleurs du Red Star autour du col. Dimitri Manessis est alors questionné par son maître de thèse, Jean Vigreux : qui est Rino Della Negra, le nom qui apparaît sur cette écharpe au fond blanc et aux rayures vertes ? Quatre ans plus tard, les deux hommes viennent de publier Rino Della Negra, footballeur et partisan, aux éditions Libertalia : la toute première biographie de ce joueur d’origine italienne, engagé dans la résistance durant la Seconde Guerre mondiale avec les FTP-MOI, les Francs-tireurs et partisans – main-d’œuvre immigrée, et fusillé le 21 février 1944 au Mont-Valérien, à l’âge de 20 ans.

Dans la clandestinité depuis février, il signe au club à l’été 1943.

Samedi, une présentation du livre était organisée au stade Bauer, à Saint-Ouen, en présence des deux auteurs. Jusqu’ici, il n’existait qu’une courte biographie – dans le Maitron, le dictionnaire biographique du mouvement social et ouvrier – de cet attaquant condamné dans le procès dit de « l’Affiche rouge », avec les membres du réseau Manouchian.
La famille de Rino, originaire de Frioul, était installée dans le Pas-de-Calais à sa naissance. Elle avait ensuite suivi son père, briquetier, jusque dans le Val-d’Oise, du côté d’Argenteuil. Apprenti ajusteur aux usines Chausson d’Asnières (Hauts-de-Seine), le jeune Rino se distinguait par ses qualités dans plusieurs disciplines sportives, et par sa vitesse notamment. Il signe au Red Star à l’été 1943 sous son vrai nom, alors qu’il était déjà clandestin et combattant après avoir refusé, en février, sa convocation au STO, le service du travail obligatoire.
Aujourd’hui, le kop des supporteurs du Red Star porte son nom. Et dans les travées, tous les 15 jours, l’un de ses abonnés n’est autre que Dimitri Manessis. Originaire de Grenoble (Isère), celui qui est désormais docteur en histoire contemporaine fréquente le stade à chaque match à domicile depuis 2017.

Un auteur « fasciné par l’ambiance » des travées

Sa famille, pourtant, n’a jamais vraiment baigné dans le foot, ou seulement pour « les grands événements, l’Euro, la Coupe du monde… » Sa première dans un stade remonte à ses 19 ans : à Grenoble, où le principal groupe de supporteurs, les Red Kaos 94, entretient une amitié avec les Red Stars Fans. « J’ai alors été fasciné par l’ambiance et le monde des tribunes, raconte l’historien de 31 ans. Pour moi, c’est la meilleure façon de vivre un match de foot : soutenir une équipe mais aussi vivre tous les à-côtés, toute la culture du club. »
Cette âme populaire de Bauer, justement, c’est son grand-père, grec, qui lui en avait parlé dès l’enfance. « Il n’avait aucun lien avec Paris ou la banlieue, mais il me parlait à table du Red Star comme le grand club emblématique des ouvriers de la banlieue parisienne. Et donc venant de Grenoble, connaissant l’amitié historique, j’y suis allé. »
À Saint-Ouen, il découvre une tribune où l’on peut inviter des migrants un soir de match, des personnels hospitaliers en grève… « C’est une chance d’avoir une tribune de progrès, souligne-t-il. Et c’est logique, vu les valeurs, que l’on ne se con-tente pas du football mais qu’on lie tout cela à un environnement social, économique, politique… »
Il découvre aussi à Bauer toute la mémoire que font vivre les supporteurs autour de Rino depuis plusieurs années. En 2017, il se rapproche du noyau dur et évoque son projet. Une aubaine pour le collectif Red Star Bauer : « C’est quelque chose que l’on aurait jamais pu réaliser, car il faut une véritable méthodologie, reconnaît Vincent Chutet-Mézence, son président. Ou alors cela aurait été beaucoup moins précis, moins poussé. On a déjà un peu travaillé sur différentes thématiques, organisé des conférences sur la mémoire de Rino, la résistance à Saint-Ouen, les antifascistes italiens… Mais on n’était jamais allés aussi loin. »
« Je ne m’attendais pas à ça, mais ce qu’ils ont fait, c’est grandiose », apprécie la belle-sœur de Rino, Yolande, 90 ans, qui était présente samedi. « Rino, on en a toujours parlé entre nous, poursuit Michel Della Negra, le neveu du joueur-résistant. C’est grâce à des gens comme lui qu’on est libres aujourd’hui. Il ne faut jamais l’oublier. »
Samedi, plusieurs dizaines de personnes ont tenu à assister à la présentation de l’ouvrage. L’historien s’en félicite : « Cela touche à des questions qui sont, pour le meilleur et pour le pire, d’une actualité brûlante : l’immigration, la résistance, la collaboration… » Un message pour la présidentielle à venir ? « C’est un hasard éditorial mais si ça peut aider à éclaircir le débat sur des sujets que d’aucuns aiment mettre en avant, c’est tant mieux… »
Mardi soir, en marge de la diffusion, à l’Espace 1789, du documentaire « Nous sommes le Red Star », Dimitri Manessis sera à nouveau présent pour évoquer son travail.

Rino Della Negra, footballeur et partisan (246 p., 10 €), Dimitri Manessis et Jean Vigreux, aux éditions Libertalia. Disponible dans toutes les librairies de la Seine-Saint-Denis (et ailleurs).

Anthony Lieures