Le blog des éditions Libertalia

Véronique Decker dans Le Canard enchaîné

mercredi 26 juin 2019 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Le Canard enchaîné, 26 juin 2019.

Institutrice,
ça me va bien !

Dans Pour une école publique émancipatrice (Libertalia), l’instit de maternelle Véronique Decker tire les leçons de ses trente années en banlieue. Drôle, pugnace, roboratif.

Elle a « rompu avec l’idée que la compétition est le moteur du monde ». Elle n’est pas obsédée, comme les ministres qui se succèdent à l’Éducation, par la « performance », ni, comme les parents d’élèves, par les « résultats ». Elle se fait de l’école publique une bien plus haute idée que ça.
Véronique Decker a fait trente ans l’institutrice et la directrice d’école maternelle à Montreuil et à Bobigny. Elle sait que plus personne ne veut enseigner dans son département, la Seine-Saint-Denis. Elle a des élèves qui, à la maison, disent à l’assistant virtuel : « OK Google, mets la musique de Mickey, espèce de gros caca pourri » et à qui il faut apprendre la politesse. Et d’autres dont les parents, adeptes d’un islam rigoriste, exigent que leurs enfants viennent à l’école aux horaires qui leur conviennent – après la prière.
Cette dernière anecdote, elle l’a racontée, entre autres, aux jeunes journalistes envoyés par Gérard Davet et Fabrice Lhomme, qui en ont tiré, dans Inch’Allah, un chapitre qui lui est consacré et l’a indignée par son « sensationnalisme », destiné à déclencher « un buzz malveillant à des fins politiques et commerciales ».
Elle n’en peut plus, des caricatures. Elle parle d’expérience, et, après deux livres (Trop classe et L’École du peuple) qui lui ont valu l’estime et la reconnaissance de milliers de lecteurs, résume ici l’essentiel de ses convictions. Bien sûr, les réactionnaires qui hurlent que le niveau d’exigence baisse « ont raison » : « À l’époque où seuls les enfants des familles cultivées allaient dans le secondaire, l’exigence formelle pouvait être plus élevée, car les familles faisaient le reste. » Mais aujourd’hui la misère sociale est partout, et ce sont les enfants de cette misère qui sont en grande difficulté à l’école. Au moment où, dans L’Express (19/6), Laurent Alexandre répète la vieille ritournelle selon laquelle les pauvres sont des cons, ou, dit avec des mots plus choisis : « Les personnes les plus défavorisées socialement sont aussi les plus désavantagées génétiquement », elle tire une tout autre leçon de son expérience.
Pour éradiquer la grande difficulté scolaire, affirme-t-elle, il faut commencer par le début : « s’assurer que les enfants n’ont pas froid, pas faim, pas soif, pas sommeil, qu’ils ne sont pas malades ». Pas facile quand, à Bobigny, il reste un médecin à mi-temps pour trois postes, censé veiller sur la santé des élèves de 27 écoles, quatre collèges et trois lycées, soit environ 12 000 gamins.
Oui, ce n’est qu’une fois ces conditions réunies, « avoir bien mangé, avoir bien dormi, être en sécurité sous un toit, avec une famille disponible et attentive, connaître ses racines, sa culture, et être accepté tel que l’on est par le groupe », que l’élève peut se lancer dans un apprentissage.
Et, le plus important dans cet apprentissage, c’est que l’école donne à l’élève « des habitudes démocratiques : prendre des décisions ensemble, s’y tenir, mener des projets jusqu’au bout, être capable de résoudre des conflits sans violence, accepter d’aider les autres et d’être aidé dans son travail, s’entraîner pour apprendre avec des amis, lire attentivement et comprendre clairement avant de se prononcer sur un texte ».
Face à des « élèves fatigués » et à des « parents excédés », Véronique Decker tient bon : « Il faut garder l’espoir, et tâcher d’être heureux, ne serait-ce que pour donner l’exemple. »

Jean-Luc Porquet