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Au bagne en Guyane au XXe siècle

jeudi 18 décembre 2014 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Article publié dans Le Quotidien du médecin, lundi 15 décembre 2014.

Au bagne en Guyane
au XXe siècle

Le Dr Collin a photographié le bagne de Guyane et de Nouvelle-Calédonie au début du XXe siècle, offrant un témoignage rare et humaniste sur ces lieux de détention. Les photographies et les écrits de ce médecin font l’objet d’une publication et d’une exposition.

C’est dans le grenier familial que Philippe Collin, petit-fils du Dr Collin, a retrouvé il y a deux ans les documents présentés lors des Rencontres photographiques de Guyane au tout nouveau Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine de Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane. « J’avais le souvenir d’y avoir vu des photographies à caractère médical lorsque j’étais enfant, mais je ne savais pas exactement ce qui se trouvait au grenier », déclare Philippe Collin. C’est finalement un ensemble exceptionnel qu’il sort de la poussière, « un millier de plaques de photographies prises durant sa carrière dans les troupes coloniales ».
Une partie concerne le bagne. Pour Marie Bourdeau, directrice du Service patrimoine de la ville de Saint-Laurent-du-Maroni, la capitale du bagne de Guyane, « il est assez rare de trouver des photographies de bonne qualité et un fonds aussi conséquent, avec les textes. En général, on a des bouts de fonds, mais des aussi complets : je n’en connais pas ».

Pendant sa formation à l’Institut Pasteur

Le Dr Léon Collin a 27 ans lorsqu’il débarque en Guyane en 1907. Il est médecin sur le bateau La Loire qui transporte les bagnards de Saint-Martin-de-Ré en Guyane, en passant par Alger où d’autres condamnés viennent grossir les rangs des forçats. « Il a fait ça quatre mois par an pendant quatre ans. Le reste du temps, il se formait à l’Institut Pasteur », explique son petit-fils. Cette formation l’emmena ensuite à faire une campagne de vaccination en Nouvelle-Calédonie de 1910 à 1912, où il visita également le bagne qui y vivait ses dernières années.
Le Dr Collin travailla ensuite à Madagascar, dans l’Annam à Hué, avant d’ouvrir un cabinet d’ophtalmologie à Mâcon. Au cours de cette carrière coloniale, il aurait contracté choléra et peste.
Le Dr Collin appartenait, comme les autres médecins du bagne, au Corps de santé des troupes coloniales. « Ils sont officiers ou sous-officiers, formés par l’École de santé navale de Bordeaux, fondée en 1889 », rappelle Michel Pierre, historien, auteur d’ouvrages sur le bagne.
En Guyane, on trouve alors trois hôpitaux, à Cayenne, aux Iles du Salut et à Saint-Laurent-du-Maroni. Les médecins du bagne sont aussi amenés à visiter les camps forestiers répartis sur le territoire guyanais, où les conditions de vie et de travail sont les plus éprouvantes. Un des clichés du Dr Collin montre une visite médicale au Camp de Charvein, dit « Camp de la mort » ou « Camp des Incorrigibles », car on y envoyait les forçats les plus récalcitrants. Les condamnés y apparaissent décharnés et le texte du Dr Collin mentionne le décès d’un des bagnards étendus au premier plan.

Critique du système pénitentiaire

« Tuberculose pulmonaire, accès pernicieux, misère physiologique, dysenterie amibienne »… sont les maux les souvent mentionnés dans les documents d’époque. « Les médecins se plaignent parfois de ne pas recevoir les médicaments demandés, explique Michel Pierre. Et l’un des plus gros problèmes, c’est la mauvaise alimentation et la sous-alimentation. » Sans compter les fièvres équatoriales qui font des ravages notamment dans les premières années du bagne.
Au fil de ces écrits, le Dr Collin se montre critique contre ce système pénitentiaire déshumanisant. Une dénonciation qu’il porte dans la presse de l’époque en publiant sous pseudonyme. En retrouvant les textes originaux et les négatifs des photos de son grand-père, Philippe Collin a découvert que certains articles publiés dans Le Monde illustré ou Détective étaient de son grand-père.
Comme le Dr Collin, d’autres médecins ont laissé des témoignages de leur passage au bagne. L’ouvrage du Dr Louis Rousseau, Un médecin au bagne, publié en 1930, joua ainsi un rôle dans l’arrêt de la transportation, l’envoi de condamnés aux travaux forcés en Guyane, qui fut supprimé en 1938.
Après la Guyane, l’exposition du Dr Collin pourrait être présentée au musée Ernest-Cognacq à Saint-Martin-de-Ré en 2015. Écrits et clichés photographiques seront réunis dans un beau livre, Des hommes et des bagnes, qui sortira en mars 2015 aux éditions Libertalia.

Hélène Ferrarini