Le blog des éditions Libertalia

« T’as voulu voir Vesoul et on a vu Vesoul »

samedi 28 mars 2020 :: Permalien

« Un vieil ami m’avait dit : “On fait un sale métier, mais on peut le faire proprement.” J’y croyais comme je croyais à Brel, à sa façon de voir le monde, de s’y frotter, de nous raconter ses victimes, ses médiocres, ses imbéciles, ses lâches et, aimable bourreau, de nous faire rire de ces minables ; avant que notre rire ne vire au jaune et au gêné, quand la prise de conscience nous ramenait à notre propre indifférence. »

De David Dufresne, observateur des violences policières et contempteur des mesquineries du monde, on avait lu plusieurs livres, Dernière sommation (Grasset, 2019), Maintien de l’ordre (Hachette, 2007), Tarnac, magasin général (Calmann-Lévy, 2012). Et vu le film Le Pigalle, une histoire populaire de Paris (disponible en replay sur le site d’Arte jusqu’au 25 avril 2020).
On connaissait la passion que l’auteur éprouve pour la musique – le punk rock en particulier –, depuis ses années de jeunesse et de fanzinat. Aussi était-on curieux de lire cette étrange biographie de Brel, intitulée On ne vit qu’une heure.
Dufresne le confesse, à l’âge de 20 ans : « Dans mon carnet, Brel avoisinait mes héros d’alors. Tzara, Aragon, Chuck D, Virilio, Henry Rollins, Vaneigem, Clash, Céline ou Pierre Naville (“Il faut organiser le pessimisme”). »
Quelque trois décennies plus tard, alors qu’il atteint l’âge où le Grand Jacques est mort (49 ans), celui qui incarne un certain journalisme gonzo à la française décide de marcher sur les traces du poète, d’enquêter sur la France d’aujourd’hui, et sur ce qui reste de Brel, à Vesoul plus précisément.
Tout au long des entretiens avec Christophe le pizzaïolo de la place Jacques-Brel, avec Serge l’ancien du Casino de Luxeuil – où le chanteur donna un concert –, avec Danièle qui travaillait au Grand Hôtel du Nord où séjourna la vedette, ou encore avec Yvette et Gilberte, les mamies du coin, David Dufresne donne à entendre la voix de la France d’en bas, celle qui s’incarnera quelques mois plus tard dans le mouvement des Gilets jaunes.
Une France d’en bas qui était aussi celle de Brel, qui sillonna le pays des années durant, jusqu’à ses adieux précoces à la scène en 1967. L’auteur de Mathilde adorait le contact des humbles, il vivait avec eux et pour eux, et ne se couchait jamais avant d’avoir passé quelques heures dans les bistrots du coin, à boire, à les écouter.
Le livre recèle d’extraits de chansons et de rares entretiens, qui ponctuent la chronologie du chanteur, des premiers concerts aux Trois Baudets aux dernières années vécues aux Marquises.
C’est un ouvrage magnifique, qui donne envie de chanter, de hurler, de bouger, une ode à l’art et à la liberté.

On ne vit qu’une heure. Une virée avec Jacques Brel, Le Seuil, 2018.