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> Du fond des océans les montagnes sont plus grandes, dans Bibliothèque Fahrenheit
samedi 8 novembre 2025 :: Permalien
Publié sur le site Bibliothèque Fahrenheit, le 6 octobre 2025.
Corinne Morel Darleux, embarquée sur le Why, voilier affrété par l’organisation Under The Pole, spécialisée dans les expéditions scientifiques en mer et les plongées profondes, relate minutieusement ses impressions de voyage et les réflexions que celui-ci lui inspire. Son journal de bord est une invitation à la découverte des « forets animales marines », formées par les coraux, « un des rares espaces encore inexplorés du XXIeı siècle ». Plongée en eaux profondes.
Au large du Honduras, près de l’île du Roatan, elle s’initie à la navigation, explore les récifs, avec masque et tuba, et surtout, collecte les témoignages de ses co-équipier·es qui explorent la zone mésophotique, située entre la surface et les grands fonds, grâce aux propulseurs sous-marins et aux scaphandres à circuits fermés qui leur permettent de descendre à plus de cent mètres. En documentant cet environnement inconnu et intrigant, les menaces qui pèsent sur lui et la richesse biologique qu’il abrite, elle souhaite transmettre sa fascination et son souci, par un pendant littéraire au manifeste mésophotique en cours de diffusion. « On ne défend bien que ce que l’on appris à aimer, il nous appartient de faire connaître ce monde au nom compliqué, de créer de la connaissance et de l’attachement aux promesses qu’il recèle, et d’en faire un symbole dont nous serons les sentinelles. » Elle alerte contre les dégâts irréversibles de la pêche en eaux profondes : « Aujourd’hui, 86 % des eaux européennes dites “protégées” sont chalutées, c’est-à-dire très concrètement que des machines gigantesques raclent le fond des océans, arrachant la canopée, les jardins, les clairières, tailladant les gorgones et fauchant aveuglément mollusques et crustacés, chevreuils marins, sangliers océaniques et écrasant les mignons troglodytes dans leurs tanières. » « Le prix à payer pour pouvoir manger de la langoustine », comme l’affirme sérieusement Emmanuel Macron ? Vraiment ?
Réminiscences littéraires (du Bateau-usine à Moitessier, toujours), anecdotes (des baignades nocturnes dans un « nuage de plancton luminescent » aux scènes quotidiennes sur le Why, ponctuées d’échanges avec l’équipage) et confidences scientifiques (du nom du bébé tortue : le tortillon, au point commun des femmes avec quelques rares autres mammifères, dont cinq espèces de cétacées à dents : la ménopause) s’enchaînent et finissent par former un reportage incarné, sensible et édifiant. L’enthousiasme et l’émerveillement de Corinne Morel Darleux, ses préoccupations et sa curiosité, sont totalement contagieux. Elle n’a rien perdu de son sens de l’introspection, ni de sa grande préoccupation pour le monde tel qu’il va (mal).
Ernest London