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Entretien avec Richard Vassakos dans Visa

vendredi 18 février 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Entretien publié dans Visa (Vigilance et initiatives antifasciste), numéro 5, spécial extrême droite et Occitanie (février 2022).

Comment as-tu travaillé pour écrire ton livre ? Quelles recherches, comment et où ?
En fait, au départ je suis spécialiste des affrontements politiques à travers les noms de rue et la statuaire publique. J’ai travaillé sur la IIIe République en Biterrois puis sur les usages symboliques de Vichy en zone non occupée. Je finissais ma thèse au moment où Robert Ménard a été élu et il se trouve que l’actuel maire de Béziers s’est mis à faire un usage symbolique de l’histoire très important dès sa prise du pouvoir. Il a ainsi débaptisé la rue du 19 Mars dès les premiers mois de son mandat et a érigé près d’une dizaine de monuments qui portent tous un sens politique très important. Cela m’a donc intéressé très rapidement même si initialement il n’était pas dans mes intentions d’en faire un sujet de recherche et un ouvrage. Malgré tout, au fil de l’eau, je conservais et collectais de la documentation, des traces de la pratique et des discours historico-mémoriels du maire de Béziers. La documentation était assez riche et relativement facile d’accès avec la politique de communication frénétique du nouveau maire. Fin 2019, alors que nous avions finalement un recul de plus de cinq ans sur cette pratique, je me suis mis à réfléchir et à écrire.

Pourrais-tu citer des exemples concrets de la bataille idéologique que mène Ménard ?
Le maire de Béziers utilise son statut pour faire passer ses idées et il utilise tous les ressorts de sa fonction pour le faire. Il prononce ainsi de nombreux discours à l’occasion de commémorations officielles comme tous les maires de France. Cependant, il confie lui-même faire des discours « lourd de sens ». Au cours de ces prises de paroles, il fait passer ses thématiques : le grand remplacement (souvent euphémisé), le choc des civilisations et un prosélytisme religieux qui met en avant le christianisme. Par exemple, les cérémonies de la libération de Béziers sont désormais précédées d’une messe. Il célèbre aussi la fête de Jeanne d’Arc en commençant par une messe et en compagnie de membres de l’Action française devant la statue de la Pucelle qu’il a fait installer face à la cathédrale Saint-Nazaire. Tout cela relève d’une volonté de créer une dialectique identitaire entre un « nous » et « eux » essentialisé. Par ailleurs, il a mis en place de nombreuses statues dans la ville à l’image de celle de Jaurès qui se retrouve totalement dépolitisé puisque l’inscription du monument ne mentionne pas qu’il était socialiste et qu’il a été assassiné par l’extrême droite. Cela relève d’une stratégie de désaffiliation automatique et de triangulation qui permet aussi de semer la confusion et se présenter comme quelqu’un qui n’est pas d’extrême droite.

Peut-on considérer Robert Ménard comme un cas à part (des élus d’extrême droite) du fait de ses anciennes relations, notamment son ancienne activité de responsable de Reporters sans frontières ?
Sa singularité relève en effet de son parcours. Il a balayé tout le spectre politique de gauche à droite puisqu’il militait à la Ligue dans les années 1970 pour finir à la droite de Marine Le Pen… Son passage à la tête de RSF et dans les grands médias audiovisuels lui donne surtout un carnet d’adresses très important et de ce fait un accès aux médias sans commune mesure pour un maire d’une ville de la taille de Béziers. Nous avons à faire à une élu d’une ville moyenne de province, qui n’est pas élu national, pas chef de parti, pas même responsable d’une quelconque organisation politique d’envergure et qui pourtant bénéficie d’une couverture médiatique de personnalité de premier plan. Un journal local a comptabilisé 70 passages en radios et télés pour le seul premier semestre 2021. Aucun maire de métropole française ne peut revendiquer un tel bilan. Cela pose une vraie question sur le rôle et la responsabilité des médias dans l’émergence de personnalités comme Ménard ou Zemmour qui sont littéralement fabriqués, mais cela n’est plus tout à fait mon sujet…

Suite au mouvement des professeurs d’histoire du lycée Jean-Moulin, considères-tu que Robert Ménard menace la neutralité et le travail de vérité des enseignants d’histoire ?
De fait, il n’a aucun pouvoir qui pourrait entraver le travail des enseignants d’histoire qui dispose, selon le code de l’éducation, de leur liberté pédagogique dans le cadre des programmes. Pourtant, ne nous y trompons pas, l’extrême droite a fait de l’histoire une arme pour enraciner son idéologie. Éric Zemmour a dit sans ambages qu’il menait la guerre de l’histoire, Robert Ménard se dit lui aussi féru d’histoire. Cependant, c’est une histoire totalement falsifiée et réécrite au service de leur idéologie. Par conséquent, les professeurs et les chercheurs qui travaillent selon une démarche critique et scientifique sont leurs ennemis. Ils le paient par une remise en question permanente et par un flot d’insultes. Le maire de Béziers affirme dans un de ses livres : « Il ne faut pas réformer le mammouth (l’Éducation nationale) mais le tuer. » On ne saurait être plus clair sur le projet qu’il porte pour l’école. Ce que veulent ces réactionnaires, c’est une école au garde à vous et une histoire qui marche au pas. Il ne s’agit pas d’enseigner des faits établis rigoureusement mais d’ânonner un catéchisme qui inculque l’amour de la patrie sans réflexion et sans contradiction. C’est ce que l’on appelle le roman national.

Et que penses-tu de la position des préfets qui observent parfois silencieusement cette bataille idéologique alors qu’ils sont normalement garants des principes de la République ?
L’État a un rôle fondamental à jouer. Cela a été le cas avec certains sous-préfets qui n’ont pas hésité lors de commémorations à tenir tête au maire de Béziers et à lui répondre. La justice a d’ailleurs sanctionné plusieurs fois le maire de Béziers pour avoir installé une crèche dans l’hôtel de ville en infraction avec l’article 28 de la loi de séparation des églises et de l’État de 1905. Pour autant, à Noël 2020, la fermeté de l’État sur cette question a semblé être un peu moins forte et la crèche est demeurée en place en vertu d’arguties juridiques qui sont contestées par les plaignants dont la Libre Pensée. Par conséquent, il faut espérer que malgré le pouvoir de nuisance médiatique du maire de Béziers, les représentants de l’État garderont une main ferme sur ces sujets qui à bas bruits sont des pions de la bataille culturelles et de la conquête idéologique de l’espace public.