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vendredi 5 décembre 2025 :: Permalien
Publié dans Télérama, le 4 décembre 2025.
En portant plainte contre l’éditeur, Laurent Nuñez, dans le sillage du syndicat policier Alliance, a assuré au jeu une promotion monstre. Dont il se serait bien passé à l’heure où le monde de l’édition et des libraires subit les assauts de l’extrême droite et de la droite.
L’affaire a débuté par un message du syndicat policier Alliance posté le 2 décembre sur X, le réseau du fasciste Elon Musk : « Fachorama est une insulte lancée contre nos collègues. » Le lendemain, Laurent Nuñez, ministre de l’Intérieur, annonçait porter plainte pour diffamation contre les éditions Libertalia, éditrices de ce jeu des sept familles à la fois potache et pédagogique, fidèle à la devise du collectif antifasciste La Horde, qui l’a conçu : « L’extrême droite, mieux la connaître pour mieux la combattre. » La carte qui scandalise les syndicalistes d’Alliance représente un « flic raciste de la BAC » avec ces caractéristiques : « Contrôles au faciès, destruction de camps de migrants. […] Il fait partie des 60 % de policiers qui votent à l’extrême droite. » Rien que de très factuel, puisque la pratique des contrôles au faciès a été documentée par la Défenseure des droits et reconnue par le Conseil d’État, la destruction de camps de migrants est régulièrement dénoncée par des associations de défense des droits humains. Et la proportion de policiers votant pour l’extrême droite est issue d’une étude menée par le Cevipof à la veille de la présidentielle 2022.
Cette affaire en rappelle une précédente, à l’automne 2022. Les mêmes auteurs et le même éditeur avaient publié Antifa, le jeu. À la suite d’une campagne lancée par le porte-parole du Syndicat indépendant des commissaires de police, Matthieu Valet (aujourd’hui eurodéputé RN), et par le député RN Grégoire de Fournas, plusieurs enseignes, dont la Fnac, avaient retiré le jeu de leurs rayons… avant de l’y remettre face à l’indignation causée par cette censure. Résultat : un afflux de commandes, un stock épuisé, de multiples rééditions, des ventes records. Parfaite illustration du fameux effet Streisand.
Libertalia aurait-elle cherché à reproduire cette année le « coup » d’il y a trois ans ? Nicolas Norrito, gérant de la maison d’édition, s’en défend : « Nous avions alors vécu trois mois d’enfer à gérer les insultes et les menaces, mais aussi les récriminations de clients mécontents parce que le jeu n’était pas disponible. » Cette fois, Libertalia a lancé Fachorama sans lui faire de promotion, presque en catimini, avec un tirage limité. Il a d’ailleurs fallu un mois pour qu’il soit repéré par Alliance… Et que le ministre de l’Intérieur emboîte le pas au syndicat, avec une plainte dont Nicolas Norrito a appris l’existence par le coup de fil d’un journaliste de BFMTV qui l’invitait à réagir (il a refusé). « On a franchi un cap dans l’intimidation, regrette l’éditeur. Nous sommes habitués aux attaques de l’extrême droite, mais que Laurent Nuñez s’y prête, c’est inquiétant d’un point de vue politique. »
Cette polémique intervient dans un contexte où le monde du livre, jusque-là sanctuarisé, subit les assauts de l’extrême droite et de la droite : librairies vandalisées, subventions supprimées, insultes et menaces non seulement sur les réseaux mais aussi dans les magasins… Au point qu’une manifestation s’est tenue le 27 novembre à Paris et que plus de quatre cents libraires, éditeurs, auteurs et collectifs ont signé ce 2 décembre dans Le Nouvel Obs une tribune intitulée « Vitrines brisées, démocratie fissurée ». « Nous n’aspirons pas à cette funeste publicité », souligne Nicolas Norrito, qui, face au flot de commandes de Fachorama, a dû les suspendre sur le site de Libertalia (il reste disponible dans certains magasins). L’éditeur et libraire se dit inquiet pour sa sécurité et celle de ses collègues : « À quel moment on va prendre des coups ? »
Son appréhension paraît fondée, à voir les outrances — et les approximations — proférées sur les plateaux télé. « Fachorama, c’est publié par la maison d’édition de jeux Libertalia, connue pour des jeux de société politisés », prétend David Doukhan sur LCI, alors que Libertalia n’édite quasiment que des livres et très rarement des jeux. « Libertalia, c’est une association antifasciste, hein. C’est pas satirique, c’est antifasciste », renchérit l’éditorialiste Renaud Pila, comme si l’antifascisme était répréhensible. « Fachorama est édité par la maison d’édition d’extrême gauche Libertalia, affirme Pauline Revenaz, cheffe du service police-justice de BFMTV. En 2022, ils avaient édité un autre jeu, Antifa, qui avait été retiré de la vente. En toute logique, c’est ce qui devrait se passer après la plainte du ministère de l’Intérieur. » La journaliste se trompe deux fois. Non, Antifa, le jeu n’a pas été retiré de la vente en 2022 (sauf par quelques enseignes, dont la Fnac, qui ont rétropédalé). Non, Fachorama ne sera pas retiré de la vente en 2025 : Laurent Nuñez n’a pas saisi le juge des référés pour le faire interdire, il a porté plainte pour diffamation, procédure qui devrait prendre des mois voire des années (si elle aboutit).
Pauline Revenaz en vient à discerner dans ces deux jeux « le même processus d’héroïsation d’antifas qui cassent, qui incendient, qui agressent dans les manifestations ». En une phrase, un jeu de cartes parodique (que l’on peut ne pas apprécier) se trouve assimilé à une apologie de la violence. Un pas que franchit aussi l’ancien porte-parole de Zemmour, Antoine Diers, présenté comme « consultant » dans Les grandes gueules de RMC Story : « Il y a toute une frange de l’extrême gauche qui appelle à la violence. On nous parle de l’extrême droite, danger ! En réalité, le danger, c’est l’extrême gauche et notamment les antifas. » Le présentateur Olivier Truchot approuve : « Les antifas se comportent comme des fachos, en fait. » Un confusionnisme tout au bénéfice de l’extrême droite, qui, elle, use de violence pour entraver la liberté d’expression.
Samuel Gontier