Le blog des éditions Libertalia

Un chant d’amour sur OrientXXI

jeudi 30 novembre 2023 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur OrientXXI, le 28 octobre 2023.

De de Gaulle à Macron,
l’affligeante dérive de la politique française au Proche-Orient

L’attaque du Hamas, le 7 octobre, en bordure de Gaza, a fait une victime dont il n’est jamais question : l’Histoire. Soudain, la longue tragédie du peuple palestinien n’a plus d’origine ni de généalogie. Le conflit israélo-palestinien serait né le 7 octobre, et c’est le Hamas qui l’aurait inventé. La seule idée qu’il y ait eu un « avant » entraîne immédiatement des cris indignés. Qui se risque à évoquer cette longue, trop longue histoire, est complice du Hamas, voire antisémite. C’est peu dire que dans ce contexte (encore un gros mot !), ce Chant d’amour (on expliquera plus loin le pourquoi de ce titre) publié par Alain Gresh et Hélène Aldeguer est un acte politique majeur pour la vérité et la justice.

Dans le bureau du général de Gaulle

Cet ouvrage, paru une première fois en 2017, et présenté dans une version actualisée et augmentée, est un grand livre d’histoire. Il y en eut beaucoup sur le sujet, écrits parfois par Alain Gresh lui-même, mais celui-ci est original par sa forme. C’est un récit graphique illustré par Hélène Aldeguer qui ouvre cette triste saga à des publics très larges sous-informés, et souvent désinformés. Le genre permet de scénographier et de montrer ce qu’on ne voit pas dans les ouvrages habituels par une reconstitution méticuleuse qui n’ajoute ni ne retranche pas une virgule à la réalité. Ainsi, on est dans le bureau de l’Élysée, en mai 1967, quand De Gaulle demande au ministre israélien des Affaires étrangères, Abba Eban, que son pays ne prenne pas l’initiative d’attaquer l’Égypte. On s’invite à la prophétique conférence de presse de novembre 1967, dont on n’a retenu à tort que les mots polémiques « les Juifs (…) peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur », quand l’essentiel était dans cette autre phrase : « Un État d’Israël guerrier et résolu à s’agrandir ».
On assiste comme si on y était, en 1976, aux premiers contacts officieux entre Issam Sartaoui, l’émissaire de Yasser Arafat, et le général israélien Mattiyahu Peled, dans un appartement parisien. On entend le Palestinien dire à son interlocuteur « je suis un terroriste, (mes) mains sont celles d’un médecin mais elles ont aussi tué des Juifs ». Et le général israélien lui répondre « j’ai fait quatre guerre contre des armées arabes et contre les Palestiniens ». Deux guerriers devenus gens de paix. Quand la volonté existe… On est, bien sûr, aux premières loges quand François Mitterrand reçoit Arafat avec les égards d’un chef d’État, le 2 mai 1989. L’histoire défile comme un film mêlant les épisodes diplomatiques aux grands mouvements de l’opinion.

Le fait colonial de Maxime Rodinson

Car c’est aussi le récit détaillé des passions que déchaîne ce conflit dans notre société. La rue pro-israélienne portée à incandescence au moment de la guerre de juin 1967 par une propagande qui ne recule devant aucun mensonge, jusqu’à obtenir de France Soir, le grand quotidien de l’époque, qu’il titre « Les Égyptiens attaquent Israël », alors que c’est l’inverse. On voit bientôt apparaître des intellectuels médiatiques très efficaces dans le discours pro-israélien. Bernard-Henri Lévy, déjà ! On voit naître aussi les mouvements de solidarité avec les Palestiniens quand les fedayins rejoignent « dans l’imaginaire militant (…) la figure du guérillero latino-américain ou du combattant vietnamien ». On croise Jean Genet, Jean-Luc Godard, et bien sûr, Jean-Paul Sartre qui va jusqu’à justifier l’attentat contre des athlètes israéliens, aux Jeux olympiques de Munich, en 1972, par des mots qu’on ne peut plus entendre aujourd’hui : « Les Palestiniens n’ont pas d’autre choix. Faute d’armes, ils ont recours au terrorisme. »

Le mot « terrorisme » ne faisait pas peur au philosophe. La violence de l’argument non plus. C’est qu’en ce temps-là, quelles que soient les fautes politiques et morales des combattants de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), on n’oubliait jamais le « contexte ». Un contexte défini une fois pour toutes par l’orientaliste Maxime Rodinson dans un fameux numéro de la revue Les Temps modernes : « Israël, fait colonial ? ». On le voit, imaginé par le trait d’Hélène Aldeguer, forger son concept devant un Jean-Paul Sartre sceptique. En parlant de « fait colonial », Rodinson donnait à tous ceux qui veulent regarder le conflit en face, aujourd’hui encore, aujourd’hui plus que jamais, une grille de lecture inoxydable.
En vérité, Alain Gresh et Hélène Aldeguer remontent beaucoup plus loin dans le temps, à la déclaration Balfour de 1917, par laquelle la couronne britannique promettait aux Juifs un foyer national sur la terre de Palestine. Ils restituent aussi la complexité du débat de 1947 aux Nations unies qui aboutira au partage et à la création d’Israël. Un épisode resté célèbre sous sa forme la plus approximative : les Arabes ont refusé le partage. On nous rappelle ici ce qu’était le « partage », et on nous remet en mémoire que l’affaire s’est soldée par une proclamation unilatérale d’Israël que l’ONU n’autorisait pas. On fait revivre surtout la tragédie palestinienne d’un exode massif forcé, et du massacre de villages palestiniens. Le Hamas n’a pas inventé la barbarie.
On mesure surtout les reculs de la France dans un dossier où elle fut longtemps très influente. Charles de Gaulle d’abord, Georges Pompidou ensuite, Valéry Giscard d’Estaing, même, qui dépêcha son ministre des Affaires étrangères à Beyrouth pour y rencontrer Arafat, et qui ouvrit une représentation officielle de l’OLP à Paris, ont fait entendre une voix singulière. François Mitterrand, à sa manière, assura la continuité. On le voit et on l’entend devant le parlement israélien, en mars 1982, évoquer, certes en termes prudents, les droits des Palestiniens, « qui peuvent, le moment venu, signifier un État ».On revoit ici le charnier de Sabra et Chatila, quand, en septembre de la même année, des miliciens chrétiens libanais massacrèrent entre 1 000 et 3 000 Palestiniens sous le regard complice de l’état-major israélien. Avoir de la mémoire n’est pas inutile pour remettre un peu de raison quand la passion, par ailleurs bien compréhensible, nous submerge. Dans cette longue histoire de feu et de sang, les assassins n’ont pas toujours été islamistes.
La mémoire permet aussi de se rappeler ce que furent vraiment les accords d’Oslo, si déséquilibrés, et tellement illusoires. Rien ne les a torpillés plus que la colonisation. Toujours le « fait colonial » qui ruine encore ces derniers temps les chances de créer un État palestinien. L’histoire peut aussi rallumer l’espoir. Après tout, elle n’a pas toujours été ce qu’elle est aujourd’hui. Les Palestiniens ont été populaires dans notre opinion, en 1987, au moment de la première Intifada, et alors qu’Arafat menait une campagne diplomatique de grande envergure. Mais c’est lui, Arafat, qui avait fait le pari du compromis et de la paix, que les Israéliens ont tué symboliquement en 2000, pour lui préférer un autre adversaire : le Hamas. La cause palestinienne s’en est trouvée abîmée. L’islamisation du conflit, aidée par les attentats du 11 septembre 2001, est devenue la grande imposture du discours occidental.

Quand Hollande pousse la chansonnette

Et la France dans tout ça ? Elle a perdu son âme gaullienne. Peut-on donner une date à ce « tournant silencieux », comme l’appelle Gresh ? Quand survient ce réalignement de Paris sur Washington et sur la droite israélienne, jusqu’à ne plus être utile en rien ? Gresh a redécouvert une déclaration de Nicolas Sarkozy qui peut servir de repère. En septembre 2006, en voyage aux États-Unis, celui qui n’était encore que ministre de l’Intérieur, affirme devant la communauté juive, et en présence de George W. Bush : « Je veux dire combien je me sens proche d’Israël. Israël est la victime. Il doit tout faire pour éviter de passer pour l’agresseur. » Dix mois plus tard, Sarkozy est à l’Élysée. La France officielle prend définitivement le parti d’Israël. Les attentats de 2015 à Paris, qui n’avaient pourtant rien à voir avec le Hamas, entretiendront la mauvaise fable d’une guerre de religion. Et ce n’est pas le successeur de Sarkozy, le socialiste François Hollande, qui reviendra en arrière.
En visite à Jérusalem, en novembre 2013, il ne pousse pas la chansonnette pour célébrer son hôte, Benyamin Nétanyahou, mais il se dit prêt tout de même à « trouver un chant d’amour pour Israël et ses dirigeants ». L’épisode est si édifiant que Gresh et Aldeguer ont fait de ce « chant d’amour » le titre de leur livre. Ironie mordante. Car ce n’était pas un moment d’ivresse. Hollande renouait avec la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) coloniale de la IVe République. Celle de la guerre d’Algérie et de l’expédition de Suez de 1956. On connaît la suite. La France d’Emmanuel Macron, dans le sillage d’Israël, joue de tous les amalgames pour mêler les Palestiniens au Djihad global dans lequel ils ne sont absolument pas impliqués. Pas même le Hamas. Les auteurs citent enfin un rapport d’Amnesty International du 1er février 2022 : « La population palestinienne est traitée comme un groupe racial inférieur et elle est systématiquement privée de ses droits. » La France officielle soutient sans vergogne l’extrême droite raciste au pouvoir en Israël. Tout le livre, superbement pédagogique, de Gresh et Aldeguer nous invite à pratiquer une résistance politique et morale : le conflit résulte toujours du fait colonial.

Denis Sieffert

Mutineries dans Brasero

mardi 28 novembre 2023 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Brasero nº3, novembre 2023.

À la fin du XVIIIe siècle, l’équipage d’un vaisseau de 55 mètres embarquant 74 canons sur deux ponts – le type de navire de guerre le plus courant – comptait 750 hommes. La hiérarchie était organisée en quatre catégories : une douzaine d’officiers, une centaine de marins qualifiés (quartiers-maîtres, pilotes, charpentiers...) et de « surnuméraires » (soignants, cuisiniers, valets des officiers...) formant la « maistrance » intermédiaire entre le commandement et l’équipage, une garnison de 120 soldats chargés de maintenir l’ordre et, enfin, les 580 gabiers, timoniers, matelots et mousses. La vie sur le navire reflétait la société de classes portée à son paroxysme : dans le château arrière, le capitaine – « seul maître à bord après Dieu » – et ses officiers vivaient dans le confort, voire le luxe ; dans les ponts, les prolétaires de la mer passaient des mois sans mettre pied à terre, entassés dans des conditions d’hygiène épouvantables, exposés aux maladies et aux accidents, mal nourris, mal payés, enrôlés le plus souvent contre leur gré et menacés de supplices atroces à la moindre incartade.
Le renversement de la noblesse par la Révolution française suscita une vague de mutineries dans la flotte de la nouvelle République puis, par contagion, dans les autres marines européennes, surtout la britannique, où l’oppression était la plus violente. Avec des revendications identiques : renvoi des officiers tortionnaires, fin des châtiments corporels, salaires décents, amélioration de la nourriture, droit de descendre à terre aux escales… Le pouvoir jacobin supprima les châtiments les plus cruels et renvoya les officiers aristocrates mais, après sa chute, la marine française, durablement désorganisée, subit une série de défaites cuisantes jusqu’à son effondrement, à Trafalgar. La Royal Navy, au contraire, rejeta d’abord les doléances et les pétitions des marins, les poussant à des actions de plus en plus radicales : grève en armes, prise de contrôle du vaisseau pour fuir dans un port neutre et, même, soulèvement de deux flottes (1797), dont l’une hissa le drapeau rouge. Mais en jouant tantôt l’apaisement, tantôt la répression, en rappelant les mutins à leur devoir patriotique, l’amirauté britannique parvint à les diviser, à rétablir l’ordre sur les vaisseaux et à conserver son hégémonie maritime pour un siècle.
C’est une page méconnue de l’histoire des luttes révolutionnaires que relate Niklas Frykman dans cet ouvrage très documenté. Outre la description des conditions de vie des hommes du bord, on y trouve le récit détaillé des principales mutineries et les stratégies des équipages pour faire aboutir leurs revendications. Les questions qui se posèrent à eux ne nous sont pas étrangères. Comment appliquer les principes démocratiques sans mettre en danger la flotte, la défense de la patrie – ou de la République – et la vie des marins, sur des navires dont le maniement, surtout au combat, nécessitait une stricte discipline ? Peut-on retourner les canons contre ses frères d’armes ? L’histoire académique ignore à peu près cette vague révolutionnaire. En la restituant avec rigueur et talent, Niklas Frykman rend enfin hommage aux damnés de la mer.

François Roux

Entretien avec Jack Halberstam dans Le Monde

mardi 28 novembre 2023 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Le Monde du 28 novembre 2023.

Jack Halberstam,
professeur en études du genre :
« Des formes de divergence au genre existent et ont existé un peu partout »

L’auteur de Trans*. Brève histoire de la variabilité de genre, explique, dans un entretien au Monde, que l’idée de « transitude » n’est pas propre à l’époque contemporaine et revêt des réalités diverses en fonction des époques et des cultures.

Il avait fallu quinze ans pour que le public français puisse lire une traduction de Trouble dans le genre, de Judith Butler, monument des queer studies (La Découverte, 2005). Figure majeure des études trans aux États-Unis, Jack Halberstam aura, lui aussi, connu un très long jetlag avant qu’un éditeur français ne s’intéresse à son travail. Trans*. Brève histoire de la variabilité de genre (Libertalia, 240 pages, 10 euros) est le premier de ses livres à être traduit en français, vingt-cinq ans après la parution de Female Masculinity, un classique outre-Atlantique toujours pas édité en France.
Professeur en études de genre, directeur de l’Institut de recherche sur les femmes, le genre et la sexualité à l’université Columbia, à New York, Jack Halberstam a consacré une partie de son œuvre à confronter les théories académiques aux cultures populaires. De Disney à Lady Gaga, il observe, pas toujours là où on les attendrait, des représentations alternatives du genre. C’est ce travail qu’il prolonge avec Trans*.

Vous avez agrémenté le titre de votre livre d’un astérisque. Pourquoi ne pas l’avoir simplement appelé « Trans » ?

C’est une manière d’élargir le concept. L’astérisque suggère l’échec de nos systèmes de classification, produits aux XIXe et XXe siècles comme une méthode de contrôle et qui s’attachaient à nommer tout ce qui semblait anormal. Trans* n’est pas seulement un élément dans un panthéon d’identités ; il ne fait pas que nommer des corps, les regrouper et leur offrir visibilité et reconnaissance ; c’est aussi un moyen de mettre sous pression le système binaire dans son ensemble.

Vous identifiez les effets de cette pression jusque dans des films grand public, Le Monde de Nemo, La Grande Aventure Lego, pas vus pourtant comme des œuvres queer…

La signification ne dépend pas de l’intention. Dans Nemo, le personnage principal est un poisson-clown, une espèce dont les individus changent de sexe dans certaines conditions, qui sont précisément celles du début du film… L’idée de « transitude » se fait ressentir partout, ce n’est pas seulement un sujet pour les personnes queer, car le genre comme structure sociale binaire contient en lui-même une part de flexibilité et d’indétermination avec laquelle des gens jouent.

Vous montrez à quel point la diversité de genre infuse la société et la culture. Est-ce une manière de répondre à ceux qui combattent les droits des personnes trans, chez qui revient souvent l’idée que la transidentité serait une mode récente et très localisée ?

Il n’y a aucun doute sur le fait que des formes de divergence au genre existent et ont existé un peu partout. Mais elles ont émergé de structures sociales très différentes et peuvent avoir des significations très variables selon les cultures. Nous devons résister à l’envie de décréter que telle ou telle figure serait trans : selon les catégories de l’époque, ça n’a pas toujours de sens.
Par exemple, nous avons beaucoup de traces de personnes assignées femmes à la naissance qui ont vécu en tant qu’hommes, en portant des habits masculins. Il est impossible de déterminer d’un cas à l’autre si elles étaient des précurseurs de la transidentité ou si elles cherchaient à échapper à la prédation masculine, voulaient s’embarquer sur des navires pour prendre la mer, fuir des difficultés économiques ou encore d’autres raisons…
Ce qui est certain c’est que, avant l’enregistrement médical des corps qui apparaît au XIXe siècle, les gens ne s’identifiaient pas comme aujourd’hui. La fonction sociale du genre était très différente. Bien sûr, il est tentant de dire : « Nous avons toujours existé », mais qui est ce « nous » ? C’est une simplification, personne n’a « toujours été là », chacun n’est qu’une version très spécifique de l’expérience humaine, historiquement, géographiquement ou en matière de classe, de « race »…

Comment répondre alors aux rhétoriques antitrans ?

Ne laissons pas les conservateurs définir les termes de nos revendications. Si on me force dans un discours sur la vérité ou l’authenticité, on va ensuite me demander de démontrer que je suis réellement trans et de remplir de critères pour un diagnostic, vérifier si je prends des hormones, etc. Quand ils nous disent : « Vous n’êtes pas réels », la réponse devrait être : « Vous ne l’êtes pas non plus », et non : « Je suis réel, j’ai des papiers. » Les papiers ne prouvent rien, si ce n’est que vous êtes enregistré par un système bureaucratique. C’est une réponse conservatrice à une question conservatrice.

Pourquoi les personnes trans concentrent-elles autant aujourd’hui les attaques des conservateurs ?

Je crois que s’ils sont aussi inquiets, en particulier à propos des jeunes, c’est qu’ils voient un nombre croissant d’entre eux s’identifier comme queer, trans, non binaire… Donc, aujourd’hui, dans beaucoup de foyers conservateurs, il peut y avoir un jeune disant à ses parents : « Maman, papa, vous êtes nazes, je ne suis pas du genre auquel vous m’assignez, je suis autre chose. »
Il ne s’agit plus seulement de quelques queers bizarres de Paris ou de San Francisco, ce sont leurs enfants, qui ont été élevés dans des familles chrétiennes. À grande échelle, cela aboutit à une remise en cause du discours « antigenre » de « la famille d’abord », qui est soutenu par le capitalisme autoritaire, aujourd’hui au pouvoir un peu partout dans le monde.

Dans votre livre, vous exprimez votre perplexité face à certains mots d’ordre de jeunes queers. Pourquoi ?

Quand j’ai commencé à écrire ce livre, une partie des jeunes trans protestaient contre des projections de films montrant des violences transphobes. Pourtant, c’est une réalité, la plupart des personnes trans dans l’histoire ont vécu cette violence. Vous ne voulez pas connaître notre histoire ? Elle n’est pas joyeuse !
Désormais, des jeunes trans sont soutenus par leurs parents, c’est fantastique ! Mais cela risque de renforcer un modèle familial qu’ils auraient remis en cause dans d’autres conditions. Dans les générations précédentes, nous disions qu’il existe d’autres manières de vivre l’intimité, des moyens d’élever collectivement des enfants, etc. Notre but ne devrait pas être de pouvoir se marier mais de transformer la société.
Mais si j’écrivais ce livre aujourd’hui [publié aux États-Unis en 2018], je ferais sans doute différemment. Depuis, les choses ont changé : le retour de bâton politique est violent et nous avons perdu du temps à nous battre entre nous. Les personnes queer et trans, surtout les jeunes, sont victimes d’attaques d’une grande violence, et je n’ai que de la sympathie pour eux.

Colin Folliot

Guadeloupe, mai 67 récompensé par le prix Fetkann-Maryse Condé

jeudi 23 novembre 2023 :: Permalien

Le 23 novembre 2023, Guadeloupe, mai 67 a été récompensé par le prix littéraire Fetkann-Maryse Condé.
Voici le texte lu lors de la réception.

Nous tenions à vous exprimer notre reconnaissance pour ce prix qui nous honore et qui consacre ce livre écrit à six mains, Guadeloupe, mai 67. Massacrer et laisser mourir.
Ce travail, fruit de longues recherches, présente une réflexion inédite sur le massacre d’État de mai 1967 en Guadeloupe, son histoire et son refoulement, ses conditions de possibilité et ses effets transatlantiques perceptibles jusqu’à aujourd’hui dans nos sociétés contemporaines.
Plus largement, le livre est aussi un hommage à la décennie 1959-1969, années d’effervescence intellectuelle, sociale, politique, traversées par les mouvements et les luttes pour l’indépendance et la décolonisation pleine et entière, marquées de la dignité des peuples et cultures caribéennes et guyanaises ; il a tenté d’en restituer la puissance, la détermination et le courage face à la répression totale dont ils ont été la cible.
Ce livre est devenu fin août la dernière contribution publiée de Jean-Pierre Sainton décédé soudainement. Il est donc un témoignage de reconnaissance du travail pionnier et de l’œuvre majeure de cet historien : nous souhaitons lui dédier ce prix et sommes émus de porter et de faire vivre une part de sa mémoire et de son héritage à travers cet ouvrage et son public.
Nous tenons enfin sincèrement à remercier les membres du jury du Prix Fetkann-Maryse Condé, catégorie « Mémoire », la maison d’édition Libertalia qui a publié et soutenu depuis le début ce projet éditorial ; mais aussi les lectrices et les lecteurs passés et à venir qui raviveront la mémoire des engagements et des combats dont nous avons besoin pour traverser le tragique du monde et continuer d’y mener et de soutenir les luttes contre le colonialisme, pour la justice sociale et un monde vivable.

Elsa Dorlin & Mathieu Rigouste

Des élèves à la conquête du passé dans Politis

vendredi 3 novembre 2023 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Politis du 2 novembre 2023.

L’histoire et son enseignement sont sans doute un vrai enjeu politique. Il est attendu aujourd’hui des élèves qu’ils travaillent autant le « rapport au temps » que l’histoire « scolaire ».
Fondé sur dix ans d’expérimentations pédagogiques en primaire autour de cette discipline, ce livre retrace des fictions historiques, événements, expositions, « au contact des sources », avec des élèves « à la recherche de traces » et de « témoignages ».
En vue d’appréhender la « méthode historique » et de leur permettre, dès leur jeune âge, de produire un savoir critique sur le passé. Le récit d’une fine expérience politique et pédagogique.