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Rino Della Negra sur le blog Une balle dans le pied

jeudi 24 février 2022 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur Une balle dans le pied, le blog de Jérôme Latta, rédacteur en chef des Cahiers du football, le 23 février 2022.

Rino Della Negra,
étoile rouge de la Résistance et du football

Icône des supporters du Red Star de Saint-Ouen, Rino Della Negra est entré dans l’histoire en entrant dans la Résistance, avant d’être exécuté parmi les « terroristes » de l’Affiche rouge. Une biographie lui est enfin consacrée.

« La plus grande preuve d’amour, c’est de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Difficile de ne pas voir, dans cette phrase qui conclut la lettre d’adieu de Rino Della Negra à ses parents, quelques heures avant d’être fusillé, une réminiscence de l’Évangile selon saint Jean – « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. »
Dans sa famille originaire du Frioul, arrivée en France au début des années 1920 avec la vague d’immigrés antifascistes, l’influence catholique n’est pourtant pas patente. Rino naît en 1923 à Vimy dans le Pas-de-Calais, d’où les Della Negra partent quand il a trois ans pour rejoindre Argenteuil et le quartier Mazagran – rebaptisé « Mazzagrande » par l’importante communauté italienne qui s’y est installée.

Rino Della Negra, footballeur et partisan (Libertalia) raconte cette jeunesse en milieu ouvrier, marquée par l’ambiance du Front populaire et du communisme municipal – Argenteuil a été conquis par le PCF en 1935, et c’est le fief du député Gabriel Péri. Certains de ses copains, français ou italiens, rejoignent les Brigades internationales pour combattre en Espagne.
Malgré de bons résultats scolaires, Rino va travailler à 14 ans à l’usine Chausson d’Asnières. Début 1943, appelé à partir en Allemagne par le Service du travail obligatoire (STO), il entre en clandestinité puis en résistance au sein des FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans – main-d’œuvre immigrée), qui comprend quelques-uns de ses amis. Il participe à une quinzaine d’actions armées avant d’être arrêté lors de la dernière – l’attaque d’un convoyeur de fonds allemand dans le quartier de l’Opéra.

JEUNESSE SPORTIVE À ARGENTEUIL

Inutile d’attendre la biographie romancée que le destin tragique de son héros suggère. Dimitri Manessis et Jean Vigreux procèdent en historiens minutieux, plongeant dans les archives pour retrouver les traces du jeune homme, naviguant entre les pièges de l’historiographie héroïque de la Résistance et ceux des archives de la police collaborationniste. La tâche n’est pas simple, Della Negra étant si vite passé d’une jeunesse anonyme à une clandestinité de quelques mois.
Une jeunesse pas si anonyme, en réalité. Rino excelle dans les activités sportives, le sprint (il approche la barre des onze secondes) et surtout le football, sa passion. Au poste d’attaquant, il se distingue dans plusieurs clubs : le FC Argenteuillais, l’équipe « corpo » de Chausson avec laquelle il remporte la Coupe de la Seine 1938, la Jeunesse sportive Jean-Jaurès d’Argenteuil qui gagne avec lui la Coupe du Matin-FSGT en 1941.
L’année suivante, cette compétition ayant changé de formule et opposant des sélections régionales, c’est avec celle de Paris qu’il inscrit un doublé lors de la finale victorieuse. Remarqué par la presse alors qu’il a rejoint l’Union sportive athlétique de Thiais, il est recruté par le Red Star de Saint-Ouen au début de la saison 1943-1944.
Le moment n’est pas idéal pour rejoindre l’équipe phare de Paris et éclore au plus haut niveau : c’est celui où les clubs de l’élite sont démantelés au profit d’équipe « fédérales » par le régime de Vichy, qui honnit le football et fait la chasse au professionnalisme. Il ne participera, sous le maillot vert et blanc, qu’à quelques matches et entraînements, entre l’été et l’hiver 1943.

PARMI LES 22 FUSILLÉS DU GROUPE MANOUCHIAN

Della Negra était passé à la clandestinité et avait rejoint les FTP d’Argenteuil dès février 1943, sans interrompre son activité sportive ni les contacts avec sa famille, cette double vie lui permettant paradoxalement d’échapper aux recherches. Recruté par les FTP-MOI au sein du 3e détachement italien, il prend part – comme guetteur, participant ou chef de commando – à des attentats contre des officiers allemands, des collaborateurs français et des fascistes italiens.

Le 12 novembre 1943, l’opération rue Lafayette tourne mal. Lui et Robert Witschitz sont pris dans une fusillade déclenchée par des policiers allemands et français, sont arrêtés et interrogés. Blessé par balles, Della Negra est soigné à la Pitié-Salpêtrière, tandis que se multiplient les rafles qui font tomber le groupe Manouchian, du nom de son chef, Missak Manouchian, exilé arménien entré dans les FTP-MOI.
Les autorités allemandes font placarder l’Affiche rouge au moment où se déroule le procès expéditif des résistants arrêtés, en février 1944. Elle ironise sur ces « libérateurs » de « l’armée du crime », Juifs polonais et hongrois, communistes espagnols ou italiens, mais l’opération de propagande a un effet inverse à celui escompté. Elles sont recouvertes d’inscriptions ou font l’objet de dépôt de fleurs.
Lors du procès, Della Negra est présenté par l’accusation et la presse collaborationniste comme un gamin entré dans le « terrorisme » pour continuer à jouer au football, entraîné par la folie meurtrière de ceux qui l’ont recruté. Le 21 février, après avoir rédigé deux lettres bouleversantes à ses parents et son frère, Della Negra est passé par les armes avec 21 de ses compagnons, au fort du Mont-Valérien. Il a 20 ans.

MÉMOIRES PLURIELLES

Le livre explore les traces paradoxales laissées par une des figures – pas la plus connue – du groupe Manouchian. De lui, il reste peu d’images, hormis quelques portraits dessinés, des photos d’équipes, un photomaton de 1938 ou une photo d’identité sur sa licence de footballeur. Les clichés enregistrent son regard droit, ses traits nobles de beau garçon.
Il faut imaginer entre les lignes une romance entre Rino et Inès Sacchetti, amie d’enfance, communiste et agent de liaison du FTP, avec laquelle il connaîtra en juin 1943 une brève escapade en Normandie, tous deux envoyés au vert pour échapper à la surveillance. C’est elle qui reconnaîtra son corps, à ses chaussures, quand les fusillés enterrés dans la fosse commune du cimetière d’Ivry seront exhumés en 1944 afin de leur donner une sépulture plus digne.
L’ouvrage consacre sa dernière partie aux mémoires plurielles au travers desquelles Della Negra est tardivement passé à la postérité. Mémoire collective de la Résistance, de l’Affiche rouge et du groupe Manouchian, des luttes antifasciste et communiste (bien qu’il ne fût jamais encarté) et, bien sûr, hommages du Red Star et de ses supporters, qui ont donné – officieusement – son nom à l’une des tribunes du Stade Bauer.
Malgré le caractère éphémère de son passage dans le club audonien, celui-ci est devenu le principal dépositaire de cette mémoire. Peut-être cette biographie précieuse inspirera-t-elle une fiction qui donnerait à Rino Della Negra la postérité que sa brève vie et sa mort héroïque appellent.

Jérôme Latta