Éditions Libertalia
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vendredi 28 janvier 2022 :: Permalien
Publié sur le site « Toute la culture », le 22 janvier 2022.
Les éditions Libertalia publient ce mois-ci un recueil de lettres de Rosa Luxemburg. L’occasion de revenir sur le parcours de la révolutionnaire allemande, assassinée par des Corps francs en 1919.
Des lettres choisies
Rosa Luxemburg était une épistolière infatigable. Ses nombreux séjours en prison, notamment, l’ont de fait contrainte à écrire abondamment à ses amis. Aussi le petit livre de Libertalia ne retranscrit-il qu’une part infime de ses lettres, pour la plupart publiées initialement en deux volumes chez Maspero, Vive la lutte ! Correspondance 1891-1914 et J’étais, je suis, je serai ! Correspondance 1914-1919.
Ce qui frappe néanmoins, c’est, malgré la pluralité des traducteurs, l’unité de ton et de style du recueil. Un style léger et sobre, un ton résolument optimiste et enthousiaste, malgré les emprisonnements réguliers.
Une travailleuse acharnée
Rosa Luxemburg y apparaît tout d’abord comme une travailleuse acharnée, curieuse de tout ce qui l’entoure. Elle se passionne ainsi en prison pour l’ornithologie, imitant avec plaisir le chant des mésanges charbonnières. La botanique, la géologie… Tout ce qui a trait à la nature l’intéresse.
Mais, ce qui est au centre de ses préoccupations, bien entendu, c’est la politique. Polyglotte de longue date, la militante socialiste met un point d’honneur à apprendre la langue de tous les pays où des soulèvements se font sentir, afin de pouvoir lire la presse de première main. Ce souci des sources va de pair avec celui de l’exactitude : il est pour elle hors de question de s’en tenir, dans ses analyses, à des pétitions de principe ; elle nous propose au contraire des études fines et complexes des événements en cours.
Le témoignage fin d’une époque
Ce choix de la franchise et de la complexité font de ces lettres un témoignage précieux d’une époque qui s’étend de 1895 à 1918. Le nomadisme de Rosa Luxemburg – elle a séjourné en Allemagne, en Suisse, en France, en Pologne ou en Russie… – permet d’embrasser les différents mouvements politiques européens. Les situations russe et polonaise de l’après-révolution de 1905, par exemple, font l’objet d’un beau compte-rendu, illustré d’exemples précis.
Sa finesse apparaît aussi dans ses analyses du mouvement ouvrier allemand ou de la révolution russe de 1917. Après un mouvement d’enthousiasme pour cette dernière, elle appelle très tôt à poser un regard sans concession sur ses dérives autoritaires, martelant que « la liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement », ainsi que le rappelle la notice biographique qui précède le recueil proprement dit.
Une amoureuse des arts et de la littérature
Outre la politique et les sciences naturelles, Rosa Luxemburg apprécie les arts et les lettres. Aussi la découvre-t-on dévorant Börne – un auteur du mouvement Jeune Allemagne un peu oublié en France –, mais aussi Goethe. Amatrice d’opéra, on la voit déplorer un mauvais Don Juan, mais goûter le talent de Gounod. Aussi le témoignage des vingt-cinq années embrassées par ces lettres débordent-elles la seule politique.
Ce petit livre vaut autant par ses lettres que par la notice bibliographique qui les précède, établie par Julien Chuzeville.
Julia Wahl
vendredi 21 janvier 2022 :: Permalien
Hicham Mansouri était l’invité de l’émission L’instant M du 21 janvier 2022 sur France Inter, pour son livre Au cœur d’une prison marocaine.
« En 2015, Hicham Mansouri, journaliste d’investigation marocain, est condamné à dix mois de prison alors qu’il enquêtait sur la surveillance électronique au Maroc. Il décrit aujourd’hui les conditions de son incarcération dans Au cœur d’une prison marocaine chez Libertalia. »
vendredi 21 janvier 2022 :: Permalien
Publié dans L’Humanité du 21 janvier 2022.
Il est l’une de ces voix critiques que le régime marocain cherche à tout prix à étouffer. Aujourd’hui exilé en France, membre du comité de rédaction de la revue Orient XXI, Hicham Mansouri est, avec l’historien Maati Monjib, l’un des fondateurs de l’Association marocaine pour le journalisme d’investigation. Ce qui lui a valu, au terme d’un procès truqué pour « complicité d’adultère », une peine de dix mois de prison ferme. De ce séjour dans la prison surpeuplé de Salé 1 (Zaki), à Rabat, il a gardé des carnets, récit quotidien de cette plongée en enfer. Observateur attentif, il y a noué des liens de confiance avec ses détenus comme avec les geôliers. Il en a tiré une enquête édifiante : une cartographie des trafics (drogue, téléphones mobiles) d’un business en milieu carcéral qui étend ses tentacules bien au-delà des prisons avec la complicité des appareils judiciaire, pénitentiaire et policier. Frappante manifestation du système de corruption sur lequel prospère le makhzen, l’appareil monarchique.
R. M.
jeudi 20 janvier 2022 :: Permalien
Entretien pour l’Institut de recherches de la FSU, Octobre 2021.
C’est une véritable bataille culturelle à laquelle se livre Robert Ménard derrière son mandat municipal : celle d’une instrumentalisation de l’histoire au service d’une idéologie réactionnaire. Interprétations, simplifications, déformations, recyclage des figures historiques, changement du nom des rues, toutes les stratégies sont bonnes y compris les plus provocatrices pour banaliser les idées de l’extrême droite.
Richard Vassakos est professeur d’histoire-géographie et chercheur associé au sein du laboratoire Crises de l’université Paul-Valéry-Montpellier-III. Il est président de l’Association Maitron Languedoc-Roussillon et de l’APHG de l’académie de Montpellier.
Parmi les élus locaux d’extrême droite, Robert Ménard est-il un cas à part du fait du réseau de relations dont il dispose, notamment par son ancienne activité de reporter et de responsable de RSF ?
En effet, il a une position tout à fait originale qui le place au carrefour des médias et de la politique. Par son statut de maire d’une ville de province, déclassée économiquement, sinistrée socialement, il se pose en incarnation de l’homme de terrain. Cela lui permet de faire valoir son expérience de maire d’extrême droite et son ancrage dans le « pays réel ». D’autre part, grâce à son passé de journaliste et sa réputation de « bon client », il a un accès absolument invraisemblable aux grands médias audiovisuels. Un journal biterrois a comptabilisé 70 passages à la radio et à la télévision au premier semestre 2021. Des maires de grandes métropoles comme Toulouse, Montpellier, Marseille, Lyon et bien d’autres ne bénéficient pas d’une telle couverture. Cela lui permet de faire passer son discours idéologique de façon lancinante, en utilisant en particulier le cadre historique pour mener des polémiques et créer des coups d’éclat. Cela a notamment été le cas avec l’affaire Black M en 2016 lorsqu’il a pris la tête d’une croisade médiatique pour empêcher le chanteur de participer aux célébrations du centenaire de la bataille de Verdun avec des arrière-pensées xénophobes et nationalistes.
Robert Paxton disait que « Vichy a gagné la bataille de la mémoire ». En quoi la méthode « ménardienne » pourrait-elle être un exemple de l’affirmation de cet historien américain ?
On peut considérer en effet que la méthode appliquée par Robert Ménard lui permet de mener et de remporter la bataille culturelle. Alors qu’il affirme ne pas faire de politique, qu’il dit privilégier le bon sens ou le pragmatisme, il ne cesse en réalité, à travers ses discours historiques et ses pratiques, d’enraciner son idéologie d’extrême droite. Au détour de discours commémoratifs, il évoque ainsi le choc des civilisations, le grand remplacement (toujours euphémisé) et met en avant un vieux fond maurassien. Il se livre également à du prosélytisme religieux en promouvant dès qu’il le peut le catholicisme. Il le fait de façon très habile mais à la longue, le ressassement fait d’une distorsion ou d’une manipulation historique un poncif communément admis. D’autres figures de l’extrême droite comme Éric Zemmour ou Marion Maréchal ne font pas autre chose, chacun jouant sa propre partition, en martelant ces mêmes rengaines. Tout cela contribue à la conquête de positions culturelles dans l’espace public et leur permet de gagner la bataille des idées. Il y a donc une véritable guerre de l’histoire menée par l’extrême droite pour forger un récit identitaire instituant un « nous » et un « eux ». Robert Ménard est un rouage parmi d’autres de cette bataille mais aussi l’illustration de l’enracinement d’un frontisme municipal.
Vous avez soutenu, en 2016, vos collègues enseignants d’histoire du lycée Jean-Moulin de Béziers qui protestaient contre « l’instrumentalisation et le retricotage de l’Histoire à des fins strictement polémiques ». Robert Ménard menace-t-il le travail de neutralité et de vérité des enseignants d’histoire ?
Je consacre un petit chapitre à la question de l’école et plus généralement des rapports du maire avec les enseignants et enseignants chercheurs. Il fait un procès d’intention aux professeurs en considérant qu’ils sont politisés et partiaux. Il avait d’ailleurs traité de « porteurs de valises » ceux qui osaient lui porter la contradiction en 2016. Ce faisant, il dénie toute légitimité aux professeurs et aux historiens accusés de professer la haine de la France et de son histoire. Dans sa bouche, des historiens reconnus comme Benjamin Stora sont des falsificateurs et l’Éducation nationale, la première des « écuries d’Augias » à nettoyer. S’il ne peut pas influencer directement le travail des enseignants d’histoire, par sa pratique culturelle et ses discours, il véhicule une relecture identitaire et nationaliste des événements historiques que l’on retrouve parfois dans certains questionnements d’élèves. De ce fait, il y a un enjeu essentiel pour les historiens et les enseignants, un rôle social comme le souligne Nicolas Offenstadt dans la préface, celui de forger un esprit critique pour des citoyens en devenir face aux pièges tendus par les manipulations du passé.
Kareen Bouissière Boulle et Paul Devin
jeudi 20 janvier 2022 :: Permalien
Paru dans Le Biterrois, décembre 2021.
Historien, chercheur et enseignant, Richard Vassakos vient de publier La Croisade de Robert Ménard. Une bataille culturelle d’extrême droite, aux éditions Libertalia. Au travers de l’exemple du maire de Béziers, il démontre comment l’extrême droite utilise l’histoire comme arme pour mener une guerre culturelle en fabriquant un nouveau roman national via une lecture identitaire du passé.
Richard Vassakos, qui êtes-vous ?
Je suis professeur d’histoire-géographie au lycée Marc-Bloch de Sérignan et chargé de cours en licence et master à l’université de Montpellier. Je suis également chercheur au sein du laboratoire CRISES de l’université Paul-Valéry Montpellier III, mais aussi dans des programmes de recherche liés à d’autres centres tels que l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP université Paris-VIII) et le Centre d’histoire sociale du XXe siècle dans le cadre du « Maitron », le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier (université Paris-I). Mes travaux portent essentiellement sur les affrontements politiques symboliques à l’époque contemporaine.
Votre premier livre portait sur les noms de rues républicains en Biterrois. Comment êtes-vous passé de ce sujet à celui de Robert Ménard ?
Les deux sujets ne sont pas si éloignés l’un de l’autre. Comme je vous le disais, je suis spécialiste des affrontements politiques à travers les noms de rues et la statuaire publique. Or, il se trouve que l’actuel maire de Béziers fait un usage symbolique de l’histoire très important depuis son élection en 2014. Il a ainsi débaptisé la rue du 19-mars dès les premiers mois de son mandat et érigé près d’une dizaine de monuments qui portent tous un sens politique très important. Cela m’a donc intéressé très rapidement, même si au départ il n’était pas dans mes intentions d’en faire un sujet de recherche et un ouvrage. De ce fait, j’ai conservé et collecté de la documentation, des traces de la pratique et des discours historico-mémoriels du maire de Béziers. Dès 2019, avec un recul de plus de cinq ans sur ses pratiques, je me suis mis à réfléchir et à écrire.
Pourquoi parler de « croisade » et de « bataille culturelle ? »
Parce qu’au-delà des coups d’éclats et du buzz provoqués par ses sorties polémiques, il y a un véritable projet qui consiste à conquérir l’espace public par un récit identitaire et réactionnaire. C’est en ce sens que l’on peut parler de croisade et de bataille car il s’agit d’imposer des thématiques, de gagner la bataille des idées pour ensuite gagner la bataille politique. C’est une bataille avant tout culturelle au sens où l’entendait Antonio Gramsci, un philosophe italien qui a forgé le concept.
Pourquoi avoir écrit un tel pamphlet ?
Il ne s’agit en aucun cas d’un pamphlet. Certains voudraient y voir un travail à charge, mais en réalité j’ai tenu une ligne de conduite très claire qui consiste à utiliser les outils des sciences humaines et sociales pour comprendre un processus à l’œuvre. C’est pourquoi j’ai essayé de me fonder sur des traces tangibles : discours, articles du Journal de Béziers, inaugurations de statues, de noms de rues, etc. à l’analyse, les propos de Robert Ménard révèlent un projet politique et idéologique structuré qui s’enracine insensiblement par cet ensemble de faits.
Que ressort-il de cette analyse ?
Eh bien, alors que Robert Ménard euphémise son positionnement politique en se disant simplement « très à droite », en affirmant se consacrer uniquement à sa ville, il y a en réalité un usage historico-mémoriel qui véhicule des thématiques d’extrême droite telles que la suggestion du grand remplacement, l’idée d’un choc des civilisations et un prosélytisme religieux de plus en plus en visible et en totale contradiction avec l’histoire de la ville. Il en ressort également un certain nombre de méthodes visant à discréditer ses adversaires et à fonder un récit historique totalement fondé sur un prisme idéologique. C’est le cas notamment avec la récupération de figures historiques de gauche comme celles de Jaurès ou de Matteotti et par un usage de la mémoire de la guerre d’Algérie intense et source de division.
En cette période troublée n’est-il pas sensible d’écrire un tel livre ?
C’est justement parce qu’il y a une dilution des repères traditionnels qu’un travail de ce genre me paraît plus que nécessaire. L’anachronisme, le confusionnisme, l’amalgame, le relativisme sont au cœur de la méthode Robert Ménard dans son usage idéologique de l’histoire. Par conséquent, donner des clefs de compréhension, éclairer le citoyen sur les enjeux et les intentions qu’il y a derrière ces pratiques et ces discours me paraît fondamental. Comme le souligne Nicolas Offenstadt dans sa préface, il en va du rôle social de l’historien et plus généralement du chercheur en sciences humaines.