Éditions Libertalia
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vendredi 28 janvier 2022 :: Permalien
Publié dans L’Obs, le 27 janvier 2022.
On sait ce que la postérité, qui dessine à grands traits, retient de Rosa Luxemburg (1871-1919) : le communisme précoce et l’Internationale, le livre sur « l’accumulation du capital » et la rupture d’avec le Parti socialiste allemand, ce SPD dont elle aura plus d’une fois pointé la « mesquinerie » avant que « de vieilles autorités » n’aillent voter les crédits pour la guerre. L’Histoire retient aussi sa mort, à 47 ans, d’une balle dans la tête, aux côtés de Karl Liebknecht, ami et cofondateur avec elle de la Ligue spartakiste, contre la guerre en cours : tous deux furent assassinés le 15 janvier 1919 par les corps francs lors d’une journée de répression sanglante à Berlin. Dans l’intervalle, Rosa Luxemburg aura payé, d’une peine de deux ans de réclusion (une « mise en congé de l’histoire », disait-elle) son audience internationale – on ne va pas impunément à Paris « voler dans les plumes de Jaurès et Millerand ». La postérité pose là son crayon. Et c’est grâce à ses lettres que le portrait s’affine, révélant la profondeur d’un esprit contemplatif qui puise sa force dans le travail de la pensée et l’action révolutionnaire et, plus inattendu, dans un lien puissant avec la nature et les animaux.
Entre les murs de la geôle berlinoise où elle veut se tenir comme Goethe « au-dessus des choses » (« Le désastre général est beaucoup trop grand pour qu’on se lamente à son sujet »), ce panthéisme tranquille est un recours, et le chant du coq, dans la cour, un enchantement. Tout porte à la désolation (« Où que l’on tende la main on ne trouve que des branches pourries ») mais l’épistolière sensible fait aussi entendre à ses correspondantes les mésanges charbonnières qui font ce « tsvi tsvi » qu’elle imite si bien pour les faire venir, surtout l’une, son « amie » qui l’accompagne pour la promenade quotidienne, sautillant sur la neige. L’aube la trouve absorbée par l’écriture d’« Anticritique » (dans L’Accumulation du capital) mais pas tout entière. Il y a dehors, sur une branche et dans un froid glacial, cette coccinelle rouge avec deux points noirs. Rosa Luxemburg a confectionné pour elle un minuscule abri de coton qui la garde en vie depuis une semaine.
Anne Crignon
vendredi 28 janvier 2022 :: Permalien
Publié sur le site « Toute la culture », le 22 janvier 2022.
Les éditions Libertalia publient ce mois-ci un recueil de lettres de Rosa Luxemburg. L’occasion de revenir sur le parcours de la révolutionnaire allemande, assassinée par des Corps francs en 1919.
Des lettres choisies
Rosa Luxemburg était une épistolière infatigable. Ses nombreux séjours en prison, notamment, l’ont de fait contrainte à écrire abondamment à ses amis. Aussi le petit livre de Libertalia ne retranscrit-il qu’une part infime de ses lettres, pour la plupart publiées initialement en deux volumes chez Maspero, Vive la lutte ! Correspondance 1891-1914 et J’étais, je suis, je serai ! Correspondance 1914-1919.
Ce qui frappe néanmoins, c’est, malgré la pluralité des traducteurs, l’unité de ton et de style du recueil. Un style léger et sobre, un ton résolument optimiste et enthousiaste, malgré les emprisonnements réguliers.
Une travailleuse acharnée
Rosa Luxemburg y apparaît tout d’abord comme une travailleuse acharnée, curieuse de tout ce qui l’entoure. Elle se passionne ainsi en prison pour l’ornithologie, imitant avec plaisir le chant des mésanges charbonnières. La botanique, la géologie… Tout ce qui a trait à la nature l’intéresse.
Mais, ce qui est au centre de ses préoccupations, bien entendu, c’est la politique. Polyglotte de longue date, la militante socialiste met un point d’honneur à apprendre la langue de tous les pays où des soulèvements se font sentir, afin de pouvoir lire la presse de première main. Ce souci des sources va de pair avec celui de l’exactitude : il est pour elle hors de question de s’en tenir, dans ses analyses, à des pétitions de principe ; elle nous propose au contraire des études fines et complexes des événements en cours.
Le témoignage fin d’une époque
Ce choix de la franchise et de la complexité font de ces lettres un témoignage précieux d’une époque qui s’étend de 1895 à 1918. Le nomadisme de Rosa Luxemburg – elle a séjourné en Allemagne, en Suisse, en France, en Pologne ou en Russie… – permet d’embrasser les différents mouvements politiques européens. Les situations russe et polonaise de l’après-révolution de 1905, par exemple, font l’objet d’un beau compte-rendu, illustré d’exemples précis.
Sa finesse apparaît aussi dans ses analyses du mouvement ouvrier allemand ou de la révolution russe de 1917. Après un mouvement d’enthousiasme pour cette dernière, elle appelle très tôt à poser un regard sans concession sur ses dérives autoritaires, martelant que « la liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement », ainsi que le rappelle la notice biographique qui précède le recueil proprement dit.
Une amoureuse des arts et de la littérature
Outre la politique et les sciences naturelles, Rosa Luxemburg apprécie les arts et les lettres. Aussi la découvre-t-on dévorant Börne – un auteur du mouvement Jeune Allemagne un peu oublié en France –, mais aussi Goethe. Amatrice d’opéra, on la voit déplorer un mauvais Don Juan, mais goûter le talent de Gounod. Aussi le témoignage des vingt-cinq années embrassées par ces lettres débordent-elles la seule politique.
Ce petit livre vaut autant par ses lettres que par la notice bibliographique qui les précède, établie par Julien Chuzeville.
Julia Wahl
vendredi 21 janvier 2022 :: Permalien
Hicham Mansouri était l’invité de l’émission L’instant M du 21 janvier 2022 sur France Inter, pour son livre Au cœur d’une prison marocaine.
« En 2015, Hicham Mansouri, journaliste d’investigation marocain, est condamné à dix mois de prison alors qu’il enquêtait sur la surveillance électronique au Maroc. Il décrit aujourd’hui les conditions de son incarcération dans Au cœur d’une prison marocaine chez Libertalia. »
vendredi 21 janvier 2022 :: Permalien
Publié dans L’Humanité du 21 janvier 2022.
Il est l’une de ces voix critiques que le régime marocain cherche à tout prix à étouffer. Aujourd’hui exilé en France, membre du comité de rédaction de la revue Orient XXI, Hicham Mansouri est, avec l’historien Maati Monjib, l’un des fondateurs de l’Association marocaine pour le journalisme d’investigation. Ce qui lui a valu, au terme d’un procès truqué pour « complicité d’adultère », une peine de dix mois de prison ferme. De ce séjour dans la prison surpeuplé de Salé 1 (Zaki), à Rabat, il a gardé des carnets, récit quotidien de cette plongée en enfer. Observateur attentif, il y a noué des liens de confiance avec ses détenus comme avec les geôliers. Il en a tiré une enquête édifiante : une cartographie des trafics (drogue, téléphones mobiles) d’un business en milieu carcéral qui étend ses tentacules bien au-delà des prisons avec la complicité des appareils judiciaire, pénitentiaire et policier. Frappante manifestation du système de corruption sur lequel prospère le makhzen, l’appareil monarchique.
R. M.
jeudi 20 janvier 2022 :: Permalien
Entretien pour l’Institut de recherches de la FSU, Octobre 2021.
C’est une véritable bataille culturelle à laquelle se livre Robert Ménard derrière son mandat municipal : celle d’une instrumentalisation de l’histoire au service d’une idéologie réactionnaire. Interprétations, simplifications, déformations, recyclage des figures historiques, changement du nom des rues, toutes les stratégies sont bonnes y compris les plus provocatrices pour banaliser les idées de l’extrême droite.
Richard Vassakos est professeur d’histoire-géographie et chercheur associé au sein du laboratoire Crises de l’université Paul-Valéry-Montpellier-III. Il est président de l’Association Maitron Languedoc-Roussillon et de l’APHG de l’académie de Montpellier.
Parmi les élus locaux d’extrême droite, Robert Ménard est-il un cas à part du fait du réseau de relations dont il dispose, notamment par son ancienne activité de reporter et de responsable de RSF ?
En effet, il a une position tout à fait originale qui le place au carrefour des médias et de la politique. Par son statut de maire d’une ville de province, déclassée économiquement, sinistrée socialement, il se pose en incarnation de l’homme de terrain. Cela lui permet de faire valoir son expérience de maire d’extrême droite et son ancrage dans le « pays réel ». D’autre part, grâce à son passé de journaliste et sa réputation de « bon client », il a un accès absolument invraisemblable aux grands médias audiovisuels. Un journal biterrois a comptabilisé 70 passages à la radio et à la télévision au premier semestre 2021. Des maires de grandes métropoles comme Toulouse, Montpellier, Marseille, Lyon et bien d’autres ne bénéficient pas d’une telle couverture. Cela lui permet de faire passer son discours idéologique de façon lancinante, en utilisant en particulier le cadre historique pour mener des polémiques et créer des coups d’éclat. Cela a notamment été le cas avec l’affaire Black M en 2016 lorsqu’il a pris la tête d’une croisade médiatique pour empêcher le chanteur de participer aux célébrations du centenaire de la bataille de Verdun avec des arrière-pensées xénophobes et nationalistes.
Robert Paxton disait que « Vichy a gagné la bataille de la mémoire ». En quoi la méthode « ménardienne » pourrait-elle être un exemple de l’affirmation de cet historien américain ?
On peut considérer en effet que la méthode appliquée par Robert Ménard lui permet de mener et de remporter la bataille culturelle. Alors qu’il affirme ne pas faire de politique, qu’il dit privilégier le bon sens ou le pragmatisme, il ne cesse en réalité, à travers ses discours historiques et ses pratiques, d’enraciner son idéologie d’extrême droite. Au détour de discours commémoratifs, il évoque ainsi le choc des civilisations, le grand remplacement (toujours euphémisé) et met en avant un vieux fond maurassien. Il se livre également à du prosélytisme religieux en promouvant dès qu’il le peut le catholicisme. Il le fait de façon très habile mais à la longue, le ressassement fait d’une distorsion ou d’une manipulation historique un poncif communément admis. D’autres figures de l’extrême droite comme Éric Zemmour ou Marion Maréchal ne font pas autre chose, chacun jouant sa propre partition, en martelant ces mêmes rengaines. Tout cela contribue à la conquête de positions culturelles dans l’espace public et leur permet de gagner la bataille des idées. Il y a donc une véritable guerre de l’histoire menée par l’extrême droite pour forger un récit identitaire instituant un « nous » et un « eux ». Robert Ménard est un rouage parmi d’autres de cette bataille mais aussi l’illustration de l’enracinement d’un frontisme municipal.
Vous avez soutenu, en 2016, vos collègues enseignants d’histoire du lycée Jean-Moulin de Béziers qui protestaient contre « l’instrumentalisation et le retricotage de l’Histoire à des fins strictement polémiques ». Robert Ménard menace-t-il le travail de neutralité et de vérité des enseignants d’histoire ?
Je consacre un petit chapitre à la question de l’école et plus généralement des rapports du maire avec les enseignants et enseignants chercheurs. Il fait un procès d’intention aux professeurs en considérant qu’ils sont politisés et partiaux. Il avait d’ailleurs traité de « porteurs de valises » ceux qui osaient lui porter la contradiction en 2016. Ce faisant, il dénie toute légitimité aux professeurs et aux historiens accusés de professer la haine de la France et de son histoire. Dans sa bouche, des historiens reconnus comme Benjamin Stora sont des falsificateurs et l’Éducation nationale, la première des « écuries d’Augias » à nettoyer. S’il ne peut pas influencer directement le travail des enseignants d’histoire, par sa pratique culturelle et ses discours, il véhicule une relecture identitaire et nationaliste des événements historiques que l’on retrouve parfois dans certains questionnements d’élèves. De ce fait, il y a un enjeu essentiel pour les historiens et les enseignants, un rôle social comme le souligne Nicolas Offenstadt dans la préface, celui de forger un esprit critique pour des citoyens en devenir face aux pièges tendus par les manipulations du passé.
Kareen Bouissière Boulle et Paul Devin