Le blog des éditions Libertalia

Nous refusons dans La Croix

vendredi 9 mai 2025 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans La Croix, le 9 mai 2025.

Ce livre du photographe Martin Barzilai est le fruit d’un travail ambitieux mené pendant plusieurs années pour dépeindre la réalité des refuzniks, ces Israéliens qui refusent de servir dans l’armée.

Le livre contient quinze portraits fouillés d’hommes et de femmes israéliens, qui partagent la même décision : dire non au militarisme de leur pays. Chaque récit apporte une nuance différente de la réalité à laquelle ils sont confrontés. Certains ont refusé de faire leur service militaire, d’autres ont quitté l’armée bien plus tard. Il y en a qui ont réussi à éviter la prison, d’autres y sont passés à plusieurs reprises.
Le photographe Martin Barzilai, qui a tiré le portrait de chacun d’entre eux, a également recueilli leur témoignage, livré à la première personne. Pour un moment, le lecteur est plongé dans l’objection de conscience et le raisonnement de ces individus sur l’État d’Israël, le Hamas et leur activisme.
« J’ai quitté Israël pour des raisons politiques en 2018. J’étais enceinte et je ne voulais pas élever un enfant dans cet environnement », explique Elisha Baskin, une Israélienne ayant grandi à Jérusalem. D’autres, en revanche, ont choisi d’y rester pour continuer leur combat sur place.

Prise de conscience

Au-delà des différentes opinions politiques prononcées, on retrouve le vécu partagé face à l’injustice que subissent les Palestiniens. « Nous entrions (l’armée israélienne, NDLR) dans des maisons à 2 heures du matin pour recenser les personnes qui y vivaient ; en menaçant ces familles avec nos armes. C’étaient des maisons prises au hasard, juste pour montrer que nous étions là […]. », raconte Michael Ofer Ziv, 28 ans, qui a fini par rompre avec l’armée israélienne au terme d’une prise de conscience progressive.
En Israël, le service militaire est obligatoire à 18 ans : trois ans pour les hommes, deux pour les femmes. Il est possible d’être exempté pour des raisons religieuses ou de santé mentale. Il est aussi permis de se présenter devant une commission pour défendre une position pacifiste. Tous ces refus, toutefois, comportent des risques — encore plus importants depuis le 7 octobre 2023.
« Jusqu’à il y a peu, un déserteur ne passait pas plus de trente jours en prison. Maintenant, j’ai rencontré des personnes qui y sont restées pendant six mois », témoigne Sofia Or, 19 ans, qui a elle-même été envoyée en prison après avoir refusé de servir.

Durcissement

Les témoignages recueillis dans ce livre après le 7 octobre 2023 montrent un durcissement contre ceux qui s’opposent à la politique israélienne, mais ils apportent aussi une lueur d’espoir. « Je m’étais fixé des lignes rouges en me disant que si quelque chose comme le 7-octobre se produisait, je quitterais le pays. […] Je me disais que s’ils commençaient à armer les civils, je partirais. Toutes ces lignes ont été franchies. Et je ne pars pas. Je ne pense pas que je partirai. Je veux lutter, je crois en ce que je fais. » Ce témoignage, au cœur même d’Israël, montre que des voix s’élèvent encore pour la paix, quoi qu’il arrive, et quoi qu’il en coûte.

Nous refusons dans La Croix hebdo

vendredi 9 mai 2025 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans La Croix (hebdo), le 7 mai 2025.

Refusez la guerre

Ils sont jeunes, israéliens et préfèrent la prison au service militaire – obligatoire – plutôt que de participer à ce qu’ils considèrent comme une « sale guerre », à Gaza ou en Cisjordanie. On les appelle les refuzniks. Martin Barzilai, photographe, brosse leur portrait dans Nous refusons, percutant livre où texte et photos racontent les motivations de ces garçons et filles prêts à affronter l’opprobre dans une société où l’armée est une composante identitaire. Engagés sans être candides, attachés à leur pays sans pour autant soutenir son gouvernement, ils croient à une coexistence possible entre Palestiniens et Israéliens, où sécurité et dignité seraient assurées pour chacun. Un ouvrage à la fois rageur et espérant.

Dix questions sur les Féminismes Noirs sur le Bondy Blog.

mercredi 7 mai 2025 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur le Bondy Blog, le 21 décembre 2024.

Fania Noël :
« Le champ politique, quel qu’il soit, a un problème à adresser la question du racisme »

Paru aux éditions Libertalia, Dix questions sur les Féminismes Noirs explore ces différents courants dans leur diversité et leur complexité. Entretien avec l’autrice Fania Noël.

Fania Noël, militante, docteure en sociologie et enseignante-chercheure au Pratt Institute à New York, présente dans ce livre les Féminismes Noirs en Amérique du Nord et en Europe dans toute leur diversité et leur complexité. Ces courants de pensées sont observés sous différents angles, l’autrice y explore les questions de genre, la prison, l’espace domestique, les corps, les féminismes blancs. Interview.

Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs ce que vous entendez par Féminismes Noirs, et en quoi est-ce différent de l’afroféminisme ?

Libertalia m’a contactée pour que j’écrive sur l’afroféminisme, mais je voulais écrire sur les Féminismes Noirs plus largement, étant donné que j’avais déjà écrit sur le premier sujet. Le Féminisme Noir est une catégorie générale qui recouvre différents types de féminismes des personnes noires, dans les pays d’Afrique et des Caraïbes, mais aussi les communautés noires en situation de minorités de la diaspora. Ces termes ne sont pas interchangeables.
L’Afroféminisme n’est pas la même chose que le Black Feminism, qui n’est pas la même chose que le féminisme sénégalais, etc. Ces différents courants ne recouvrent pas la même histoire. En clair, l’afroféminisme fait partie des Féminismes Noirs, mais les Féminismes Noirs ne se résument pas à l’afroféminisme.

Vous parlez du concept d’identity politics, c’est un terme que l’on a beaucoup entendu lors de la campagne de Kamala Harris. Que veut réellement dire ce terme ?

Le fait que le réductionnisme identitaire ou la politique de représentation soient nommés à tort identity politics (« politique de l’identité »), c’est une forme de révisionnisme intellectuel. Cela a d’ailleurs beaucoup énervé les créatrices du terme qui ont trouvé leur concept dévoyé.
Ce concept a été repris et vidé de son sens jusqu’à en inverser la signification, à la fois par la gauche puis par la droite. L’identity politics, ou la politique de l’identité, est initialement une forme de politique par et pour les « minorités ». Une volonté de se concentrer sur son oppression propre, avec l’idée qu’il n’y a personne de plus qualifiée que nous-mêmes pour défendre nos propres intérêts. Le Combahee River Collective, une organisation féministe lesbienne radicale majeure, l’expliquait dès les années 1970.
La politique de représentation, au contraire, consiste à mettre en avant des personnes d’une communauté en espérant que cette représentation seule permettra des avancements. Elle se dégrade souvent en réductionnisme identitaire, qui réduit la personne à un rôle de token, dont la seule présence permettrait d’évacuer tout questionnement plus large.
On peut prendre l’exemple d’Emmanuel Macron. Il se défend de ne pas être réactionnaire, puisqu’il avait un Premier ministre homosexuel. Évidemment, ça n’a pas de sens si l’on regarde ses politiques réactionnaires.
On parle souvent de politique identitaire pour les minorités, mais ce qu’il faut comprendre, c’est que la seule politique basée sur l’identité, et qui fonctionne, c’est celle de la majorité. Ce sont les Blancs et les hommes qui, statistiquement, doivent changer le plus, en termes d’attitudes réactionnaires, de libéralisme économique.

En parlant d’hommes blancs, vous dites que le fait noir dépasse la notion de genre, pouvez-vous expliquer cette notion ?

C’est simple, en réalité, le genre est toujours racialisé. On est avant tout une femme noire ou un homme noir, c’est quasiment un genre en soi, pour reprendre le titre de l’article « My gender is black ». Cela est dû au fait que le fait noir est extrêmement déstabilisateur, et ce, dans le monde entier. On peut citer l’exemple du phénomène d’hypersexualisation, on le retrouve en Afrique du Nord avec les traitements réservés aux migrantes ou plus anciennement avec les eunuques, mais aussi en Asie, en Europe… Les personnes noires sont souvent réduites à des corps.
D’une manière générale, tout le monde est racialisé à différentes échelles, la blanchité enferme dans d’autres cadres très précis. La masculinité hégémonique blanche est l’un d’entre eux. On observe aussi un backlash (retour de bâton) envers le féminisme qui est devenu beaucoup plus mainstream et qui voudrait remettre les femmes, notamment blanches, dans des cadres de type tradwife (épouse traditionnelle).
Nombre d’hommes poussent pour qu’elles intègrent ce mode de vie consistant à déléguer tout pouvoir politique à leur mari et à abandonner leur indépendance économique en les faisant quitter le travail au profit d’une domesticité servile.
Cela est lié à un ressentiment vis-à-vis de la massification des idées progressistes dans la société. Les hommes, pour la plupart, n’ont pas été socialisés, y compris les plus jeunes, à adhérer à des idées féministes. Par ailleurs, nous sommes dans un capitalisme tardif, et les hommes n’ont pas les moyens financiers d’entretenir une femme et un foyer à eux tout seul. Ils veulent la tradwife mais sans la tradwife money.
Ils aimeraient donc une femme à la maison, mais qui travaille, ce n’est pas possible et ça entretient du ressentiment. Un ressentiment qui fait que de plus en plus de personnes, de plus en plus jeunes, se radicalisent vers le masculinisme. Les hommes de ce monde ont une impression de perte de pouvoir qu’ils tentent de regagner par tous les moyens, y compris le pouvoir politique, mais aussi légal, sur les décisions et le corps des femmes.

À travers la question de la prison et des mises en cause d’hommes noirs dans des cas de violences sexuelles et sexistes, vous pointez les « pièges » faits aux féministes noires. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Pour rappeler le contexte, beaucoup de mouvements anticolonialistes ont cajolé les hommes noirs et ne les ont pas poussés à adopter une forme de radicalité sur certaines questions. Ils ont ainsi pu rester, pour certains, dans une forme de conservatisme.
Les Féminismes Noirs en Amérique du Nord et en Europe sont marqués par les dynamiques de sexisme et de violences sexuelles subies par les femmes noires dans les organisations noires. En témoignent la déclaration politique de la Coordination des Femmes Noires et celle du Combahee River Collective. Frederick Douglass, par exemple, qualifia Sojourner Truth d’inculte tout en soutenant des suffragettes blanches qui justifiaient le lynchage d’hommes noirs.
De même, Eldridge Cleaver, des Black Panthers, a reconnu avoir commis des viols, affirmant avoir d’abord ciblé des femmes noires dans les ghettos pour « s’exercer », avant de perpétrer des viols en série sur des femmes blanches, qu’il présentait comme des actes politiquement motivés.
Face à ces violences et ces contradictions, les féministes noires ont analysé et dénoncé l’hypersexualisation des hommes noirs, utilisée pour légitimer des violences raciales, comme l’a démontré Ida B. Wells dans ses travaux sur les lynchages.
Dans certains cas, il y a aussi une certaine mentalité de type « on n’est pas des victimes » et l’apologie de la force qui va de pair avec une adhésion à des valeurs conservatrices.
Il se reproduit ainsi au niveau politique le même type de mécanismes qu’au niveau domestique, dans le sens où l’on attend des femmes noires qu’elles soient des femmes fortes, fragiles, désirables… Mais aussi qu’elles soient le gardien de leurs frères. De l’autre côté, on n’attend pas des hommes qu’ils grandissent.
On retrouve cette idée dans un certain nombre d’organisations politiques dont ces femmes font partie, où l’on attend également d’elles qu’elles soient les « petites mains » du mouvement.
Et quand un homme noir est mis en cause dans des cas de violences sexistes et sexuelles, il y a souvent une injonction à la solidarité ou a minima au silence. Ces femmes devraient « dépasser leurs sentiments » pour ne pas risquer de pénaliser les mouvements de libération noirs. Et cela ne se limite pas aux pays où les personnes noires sont en minorités, il en est de même dans les pays à majorité noire où la femme est une forme de « mère universelle » qui doit prendre soins de ses fils.

Qu’est-ce que la notion de « chez-soi » que vous développez, et comment s’articule-t-il avec les questions féministes ?

Dans mon œuvre, la question du « chez-soi » se pose autour de la question suivante : « Quelle est la limite du chez-soi, quand l’État est susceptible de s’immiscer chez vous via les services sociaux ou quand votre vie est un débat public : la manière dont vous élevez vos enfants, ce que vous faites de votre argent, etc. ? »
En plus de cela, c’est aussi une question de conditions matérielles, quand elles ne permettent pas d’avoir un chez-soi décent, de l’espace, etc. Il est plus que probable que cet état des choses se répercute sur votre quotidien, y compris très jeune. On peut prendre l’exemple, dans certaines familles, de la place et du rôle des filles aînées qui sont amenées à prendre de grandes responsabilités.
Plus tard, cela se retrouve dans le couple entre une charge mentale importante, qu’elle soit domestique ou au travail. Ces situations peuvent aussi s’accompagner de violences sexistes et sexuelles. Tout cela rend d’autant plus complexe la constitution d’un chez-soi au sens féministe.
On a aussi des situations de mères célibataires qui ne sont pas prêtes à accepter de rester dans des relations néfastes pour elles. Ce qui est une très bonne chose, mais ce qui fragilise leur quotidien et minimise leur espace d’intimité.

Que diriez-vous aux personnes qui pensent que le salut des communautés noires se trouve dans une forme de capitalisme noir ?

Le capitalisme noir est pour moi lié à une idée masculiniste du pouvoir. On a, encore une fois, une sorte de mentalité de type « on n’est pas des victimes, on est fort, donc on doit être comme les forts », et les forts dans notre société, ce sont les capitalistes, ceux qui oppriment les autres.
Pour moi, c’est une réelle limite d’imagination de beaucoup de militants noirs. Certes, il y a une hégémonie politique importante, mais le capitalisme comme système n’est structurellement pas fait pour nous.
Il y a la rengaine : « on peut tous être entrepreneur », et ensuite, on pourra embaucher une femme de ménage pour se libérer de la charge mentale et des contraintes quotidiennes. Mais qui sera cette femme de ménage ? Ce sera encore et toujours les femmes noires et racisées.
Par essence, l’argent n’est pas illimité, on ne peut pas tous être milliardaire. Le principe même d’être riche, c’est de pouvoir être servi. Et qui continuera à servir si ce n’est des gens de nos communautés qui sont aujourd’hui marginalisées.
Ce qu’il faut attendre, ce n’est pas l’avènement d’un capitalisme noir, c’est l’abolition du capitalisme, pour les Noirs et pour toutes les autres communautés.
Évidemment, en attendant, il y a énormément de choses à faire, je ne dis pas qu’il faut être attentiste. Il faut se soutenir, s’aider entre communautés et au sein de leur communauté.

Est-ce que vous voudriez ajouter quelque chose ?

J’aimerais parler des élections qui arrivent d’ici deux ans en France. C’est affligeant de remarquer que le spectre politique, quel qu’il soit, a un problème à adresser la question du racisme. S’ils peuvent reconnaître, pour certains, qu’il y a du racisme, c’est pour nier ou éviter de parler du néocolonialisme, des frontières, de l’exploitation, ce qui n’a aucun sens. Et j’inclus une partie de la gauche aussi.
La question du racisme est souvent entendue comme « il faut traiter les personnes racisées comme des Français comme les autres ». Mais ça pose la question de ce que veut dire être français, et surtout qu’est-ce que ça dit des personnes qui vivent du racisme et qui ne sont pas françaises ?

Propos recueillis par Ambre Couvin

Nous refusons sur Mediapart

lundi 5 mai 2025 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur Mediapart, le 4 mai 2025.

« Nous refusons » :
ces Israéliens qui ne veulent plus servir sous les drapeaux

À travers un nouveau livre qui vient de paraître, l’auteur et photographe Martin Barzilai poursuit son travail auprès de celles et ceux qui disent « non » à l’armée en Israël. Un phénomène qui a pris une lumière nouvelle depuis le 7-Octobre.

« La chose la pire qui soit en Israël, à part être palestinien, c’est être un traître. » Eviatar Rubin a 22 ans. Quand le photographe Martin Barzilai le rencontre pour la première fois il y a deux ans, l’attaque terroriste du Hamas et la riposte israélienne n’ont pas encore eu lieu.
Le jeune homme, qui vit à Haïfa, est déjà déterminé : pas question de faire son service militaire, pas question de « participer à l’occupation sioniste, à un régime d’apartheid ». Alors il refuse de rejoindre l’armée. Il passera pour cela quatre mois en prison. Puis il retournera à ses activités militantes : manifestations politiques et soutien aux familles palestiniennes expulsées de leur logement.
Après le 7-Octobre, c’est le choc. La gauche israélienne à laquelle Eviatar appartient a du mal à se positionner. L’activisme est devenu plus difficile, plus risqué aussi. Mais les convictions du jeune Israélien se sont aiguisées. « La guerre ne s’arrêtera pas tant que Nétanyahou la voudra, confie-t-il deux mois plus tard. Or il n’a pas d’objectif […]. Nous n’allons pas rétablir la sécurité. Il n’y a pas de victoire militaire au bout du chemin. »

Regards graves

Ce témoignage et une quinzaine d’autres composent le nouveau livre de Martin Barzilai, Nous refusons. Dire non à l’armée en Israël, sorti le 25 avril aux éditions Libertalia, qui constitue une sorte de suite à un premier opus sorti en 2017, Refuzniks, et poursuit un travail entamé il y a seize ans.
Les personnes rencontrées ou retrouvées, hommes et femmes, âgé·es de 18 à 63 ans, ont pour point commun de n’avoir pas rempli leurs obligations militaires, que ce soit en renonçant dès leur première convocation, en démissionnant en cours de mission, ou en refusant d’être réserviste. Saisi·es dans l’objectif du photographe, ils et elles portent un regard grave, dans lequel on devine des interrogations profondes sur l’avenir.
Certain·es évoluaient déjà dans un milieu politisé, de gauche, solidaire des Palestinien·nes et critique de la colonisation. D’autres ont pris conscience de ce qu’il se passait dans leur pays avec le 7-Octobre, parfois à contre-courant de leur milieu, de leur famille.
C’est le cas d’Itamar Greenberg, qui a grandi dans une communauté ultraorthodoxe. Une révélation digne de la caverne de Platon pour ce jeune homme qui, entre l’école religieuse et la maison, n’avait jamais entendu parler de l’occupation auparavant et qui, pour naviguer sur Internet, devait contourner un filtre religieux mis en place par ses parents. Depuis, il se rend régulièrement en Cisjordanie pour faire de la « présence protectrice » afin d’empêcher les colons d’avancer sur les terres palestiniennes.

Un phénomène impossible à quantifier

À l’heure où l’offensive de l’armée israélienne a fait plus de 50 000 morts à Gaza, l’ouvrage de Martin Barzilai fait du bien. Il montre que des résistances sont à l’œuvre en Israël face à cette guerre dévastatrice, que les voix de la paix – alors que certaines ont été sauvagement tuées dans l’attaque du Hamas – ne se sont jamais tues, que le pacifisme continue de parler aux jeunes générations.
Il en faut du courage pour aller affronter une commission militaire afin de défendre sa position d’objecteur ou objectrice de conscience, ou pour remettre en question le récit dominant d’un pays constamment menacé… « L’armée ne protège plus Israël mais défend le projet de colonisation », dit l’un des personnages du livre.
Combien sont-ils, combien sont-elles, aujourd’hui, à refuser de prendre les armes dans ce pays où le service militaire dure trois ans pour les hommes, deux ans pour les femmes ? Impossible de le savoir avec précision, l’armée israélienne ne communiquant pas sur le nombre de personnes exemptées, de désertions, ou encore de peines de prison. Un chiffre, toutefois, atteste une certaine distance par rapport à l’institution militaire : 50 % des conscrit·es ne vont pas au bout de leur service.
Depuis un mois, trois lettres publiques signées par des groupe de réservistes parues dans la presse israélienne ont appelé à la fin immédiate de la guerre à Gaza. L’une d’elles était signée par près d’un millier d’anciens membres de l’armée de l’air, parmi lesquels 60 réservistes en service… Signe que les positions sont en train de bouger, que les justifications de la guerre ne sont plus entendues de la même façon qu’il y a un an et demi.
« Il est difficile de savoir si le phénomène des refuzniks reste minoritaire ou s’il concerne davantage de monde que les voix qui s’expriment déjà publiquement, explique Martin Barzilai à Mediapart. Car il y a beaucoup de refus “gris” comme on les a connus en France dans les années 1980-1990, où de nombreux hommes se faisaient réformer “P3” ou “P4” pour échapper au service militaire. Dans les milieux artistes et progressistes, notamment à Tel-Aviv, beaucoup invoquent ainsi des problèmes psychologiques pour éviter l’armée. Les femmes s’en sortent souvent en disant qu’elles sont religieuses. Dans tous ces refus, on ne peut pas savoir quelle est la proportion de celles et ceux qui le font en étant conscients de ce qui se passe. »

Des exils « pour raisons politiques »

Einat Gerlitz, elle, n’a pas voulu dissimuler son choix : elle l’a fait savoir publiquement et a passé au total 97 jours en prison. Beaucoup de ses amis ont réussi à se faire exempter « pour raison psychiatrique » et n’osent pas, comme elle, en faire un geste politique. « Mon refus s’exprime aussi en leur nom », témoigne-t-elle.
Point commun de ces refuzniks rencontré·es par le photographe : le sentiment d’une certaine solitude, même si la plupart vont la dépasser en retrouvant des semblables. Éviter le service militaire dans un pays dont il est constitutif de la citoyenneté n’est pas anodin dans la construction de son identité, et n’est pas sans conséquence pour sa carrière professionnelle.
Pour Elisha Baskin, cette décision a été suivie, quelque temps plus tard, d’un départ pour l’étranger « pour raisons politiques ». Beaucoup de gens autour d’elle ont pris un chemin similaire, raconte cette trentenaire aujourd’hui installée en France. Elle fait partie, désormais, d’un groupe qui rapproche Israélien·nes et Palestinien·nes arrivé·es comme elle sur le continent, une « même communauté » de gens « un peu perdus en Europe ».
Avec cette nuance de taille : « Nous, Israéliens, nous avons choisi notre exil pour des raisons politiques, alors que les Palestiniens sont des réfugiés. »

Amélie Poinssot

Robin des Bois dans Le Cours de l’Histoire sur France Culture

lundi 24 mars 2025 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

William Blanc, Justine Breton et Jonathan Fruoco étaient les invités de Xavier Mauduit dans Le Cours de l’Histoire du 11 mars 2025 sur France Culture.

Nous partons sur les traces d’un brigand au grand cœur… Un brigand ou plutôt des brigands, tant son image est plurielle et varie selon les versions produites à travers les siècles, des chroniques médiévales aux séries télévisées, en passant par le dessin animé ; Robin des bois est une bande de brigands à lui tout seul !

« Je connais des rimes de Robin des Bois »
Le Robin des Bois historique n’a manifestement pas existé. En l’absence de sources qui établissent la réalité d’un tel personnage, les historiennes et historiens concluent plutôt à une synthèse littéraire aux multiples influences, d’abord orales. La première apparition écrite du personnage date de 1377, dans une des œuvres les plus importantes de la littérature médiévale anglaise, Pierre le Laboureur de William Langland (1332-1386). La mention ne se limite pourtant qu’à une phrase isolée – "je connais des rimes de Robin des Bois" – et les premières traces de l’histoire telle qu’elle est connue aujourd’hui n’apparaissent qu’au milieu du 15ᵉ siècle, dans Une geste de Robin des Bois : confrontation avec le shérif de Nottingham, concours de tir à l’arc, rencontre entre Robin et le roi… Dans cette version, Robin est un yeoman, c’est-à-dire un paysan petit propriétaire terrien, fier de son identité rurale qu’il revendique face à la noblesse et à l’Église. Le vert qu’il arbore n’est pas qu’un bon moyen de se camoufler dans la forêt ; Jonathan Fruoco, historien médiéviste à l’Université Paris Nanterre, explique : « C’est une couleur qui est associée à sa classe sociale, celle des yeomen. Le “vert de Lincoln”, cité comme la couleur des vêtements de la capuche [hood en anglais] de Robin, est très spécifique. C’est une couleur peu noble parce qu’elle se délave facilement, d’où la tendance à l’éviter dans la noblesse. » Le vert emblématique de Robin est donc, avant tout, une marque sociale.

Jouer (à) Robin
D’abord incarné à l’occasion de fêtes de village, le personnage de Robin est ciblé par le pouvoir royal d’Henri VIII puis d’Élisabeth Ire qui jugent ces célébrations populaires incompatibles avec l’anglicanisme. Alors réécrit pour correspondre aux exigences du théâtre élisabéthain, le personnage s’anoblit : il devient le comte de Huntingdon, un homme dépossédé de ses terres qui cherche à les récupérer. Sous l’influence des chroniqueurs du 15ᵉ siècle, qui ont situé la légende au temps de Richard Cœur de Lion et de Jean sans Terre, le théâtre dote Robin d’une épaisseur historique fictive.
Dans le même temps, « Robin des bois » devient un surnom pour de vrais hors-la-loi. Les autorités se servent de l’expression pour disqualifier les contrevenants, tandis qu’il arrive à ces mêmes contrevenants de le revendiquer. Cette ambivalence est particulièrement sensible outre-Atlantique, où le nom sert tantôt à désigner des pirates dangereux, tantôt à valoriser l’opposition du monde rural à l’État fédéral. Après la guerre de Sécession (1861-1865), le sudiste et esclavagiste Jesse James incarne ce combat contre les Républicains, capitalistes et selon lui oppresseurs des honnêtes ruraux. Le déguisement occupe une place centrale. À cet égard, William Blanc, historien spécialiste des représentations du Moyen Âge dans les cultures populaires, emprunte au théoricien russe Mikhaïl Bakhtine le concept de « carnavalesque » : la légende de Robin est « une fête, une transformation, un moment de déguisement où on renverse les valeurs [sociales et morales] », où les femmes, comme Marianne, s’habillent comme des hommes et où les riches sont détroussés au profit des plus pauvres.

Robins et Mariannes
Si le cinéma et la littérature populaire contribuent à fixer un imaginaire, y compris chez les enfants, l’histoire de Robin des Bois est constamment réécrite pour répondre aux enjeux du présent. Le film hollywoodien d’Allan Dwan et Douglas Fairbanks de 1922, peint, en dépit du noir et blanc, un Moyen Âge éclatant et joyeux qui contraste avec le traumatisme européen de la Grande Guerre, boueuse et meurtrière. Seize ans plus tard, en 1938, la version de Michael Curtiz et William Keighley prend acte de la menace fasciste et propose un Robin rooseveltien et favorable à la redistribution des richesses, dans la droite lignée du New Deal. Rien à voir, pour William Blanc, avec le film des studios Walt Disney, connus pour « [leurs] positions très conservatrices » : « En 1973, l’oppresseur est celui qui prend les impôts. »
Le personnage de Marianne connaît également une trajectoire surprenante entre son introduction au 16ᵉ siècle, où elle est un objet sexuel et de désir, et les réécritures féministes les plus récentes. Pour autant, elle reste l’unique femme de la légende. Pour Justine Breton, maîtresse de conférences en médiévalisme et en littérature comparée à l’Université de Lorraine c’est « le “syndrôme de la Schtroumpfette” ; il y a un unique personnage féminin, qui représente ’la’ femme, et de nombreux personnages masculins qui gravitent autour. »

Écouter sur le site de Radio France.