Le blog des éditions Libertalia

Sur la Révolution française…

mardi 17 septembre 2013 :: Permalien

En juin 2013, Article 11 a publié un long entretien avec Claude Guillon, animateur du (passionnant) blog « La Révolution et nous » et préfacier de Bourgeois et bras-nus (Daniel guérin). Claude Guillon a souhaité ajouter certains éléments. Voici l’ultime version.

« La partie la plus intéressante de la société » ?

À la fin du XVIIIe siècle, et donc au début de la Révolution française, il existe peu de sociétés féminines : quelques loges maçonniques, des associations charitables, de rares corporations. La mixité même n’est pas la règle dans l’espace social. Les sociétés populaires admettant les femmes — ne serait-ce que dans le public —, c’est donc déjà une audace.

En étudiant ces espaces mixtes, on remarque vite que les hommes y portent un regard particulier sur les femmes. Ils usent clairement d’un discours de domination masculine, mais avec des précautions, des formules galantes. Ils commencent par complimenter les femmes, fréquemment désignées comme « la partie la plus intéressante de la société ». On voit bien tout ce qu’il y a d’ambigu dans cette galanterie : le propos semble aimable, mais c’est surtout une façon de ne pas donner aux femmes une position d’égales.

Cela renvoie d’ailleurs à une expression qui apparaît au début des années 1800 dans les dictionnaires médicaux : « un état intéressant », à propos d’une femme enceinte. Le fait d’accoler l’adjectif « intéressant » à la femme est une façon de la renvoyer à un statut essentiel : celui de mère.

Des comportements collectifs

Les travaux historiques ne sont pas exempts d’un biais phallocrate. C’est vrai qu’on ne trouve plus, dans les actuels livres d’histoire, de déclarations d’un machisme égrillard et goguenard comme il y en avait dans les textes du XIXe. Mais si tu creuses la question, tu te rends compte que les ouvrages récents présentent des impasses relevant sans doute d’une logique voisine. La présence des femmes dans les cérémonies révolutionnaires de 1789 à 1793 est ainsi souvent vue avec une certaine condescendance : on atteste leur présence, mais comme à la parade. C’est peut-être la vision qu’en avaient alors les révolutionnaires, mais l’historien ne doit évidemment pas prendre au pied de la lettre les conceptions idéologiques de l’époque.

Je vois bien que de la même source (disons : un article de journal sur une cérémonie révolutionnaire), je ne tire pas les mêmes conclusions que beaucoup d’historiens. Eux restent à la surface du récit : des femmes sont présentes et on leur dit éventuellement qu’elles embellissent la cérémonie. Certes. Mais si elles sont là, c’est quelles se sont réunies ; si l’une parle en leur nom, c’est qu’elle a été désignée ; si elle fait un discours, c’est qu’il a été discuté, etc. Derrière cette apparence d’insignifiance, il y a donc des comportements collectifs, politiques, de femmes. C’est ce qui m’intéresse. Parce qu’il se produit quelque chose de nouveau : une vraie existence politique des femmes. On s’adresse à elles et elles s’adressent à la société. Des mécanismes collectifs subtils se mettent en place.

Femmes du côté de la Gironde…

Quelques figures révolutionnaires féminines sont souvent mises en avant dans le champ historique classique : Olympe de Gouges, Anne-Josèphe Théroigne de Méricourt et la baronne Palm d’Aelders. Les deux premières sont partisanes de la révolution et y ont participé ; la baronne d’Aelders, hollandaise d’origine, doit rapidement rentrer dans son pays natal. Ce sont des révolutionnaires, mais modérées, proches des Girondins — ce qu’on appellerait aujourd’hui la droite (mais la droite de la révolution !). Tout en étant plus « féministes », au sens actuel, que beaucoup de groupes de femmes constitués de l’époque, elles optent pour le camp qui tente de stopper le processus révolutionnaire.

Il s’est produit des choses encore plus paradoxales. Par exemple, dans la période pré-révolutionnaire, des loges maçonniques accueillent des femmes. Certaines sont même exclusivement féminines. Parmi ces dernières, citons l’Ordre des Amazones, qui regroupe essentiellement des femmes de l’aristocratie tenant un discours radical, féministe et revendicatif. Et cela complique forcément la généalogie du féminisme. Dès le début, il y a cette ambiguïté : la revendication radicale d’un statut différent pour les femmes ne va pas forcément avec un parti-pris politique radical.

… et du côté de la Montagne

D’autres militantes plus populaires, comme Pauline Léon, cofondatrice des Citoyennes républicaines révolutionnaires (c’est le nom qu’elles se donnent), se placent non seulement du côté de la Montagne, mais tentent de dépasser son programme. C’est ce qu’on pourrait appeler l’ultra-gauche de l’époque : les Enragé(e)s. Ces femmes ont une pratique qu’on peut qualifier de féministe, puisqu’elles se battent en tant que femmes, mais pas le discours correspondant.

Pour être reconnues, les Républicaines révolutionnaires interviennent sur des questions liées aux femmes (dont la prostitution). Et elles s’instituent comme une espèce de ministère sauvage des questions féminines. Elles sont conscientes d’avoir un handicap du fait d’être nées femmes, et elles se proposent pour régler les problèmes spécifiques aux femmes — un peu comme s’il leur fallait expier une faute originelle (on n’est pas loin de la Bible !). Et c’est encore pire après l’assassinat de Marat par une femme, Charlotte Corday.

Moralisme de la révolution

Les Républicaines révolutionnaires tiennent un discours plutôt abolitionniste sur la prostitution. Elles voient les prostituées comme fautives, mais contraintes et donc excusées par la misère. Elles proposent qu’elles soient internées dans des établissements spéciaux où elles seraient employées à des tâches leur permettant de trouver la rédemption. Bref, une position moraliste. Mais la Révolution elle-même est moraliste. Le libertinage est vu comme une pratique des aristocrates. Et le peuple porte une conception de la morale plutôt rigide, et qui n’est pas tellement critiquée. Si Pauline Léon ou Claire Lacombe mènent une vie assez libre par rapport aux normes de l’époque, elles ne le disent jamais, n’en font pas une position politique revendiquée.

Les Républicaines révolutionnaires se défendent, par exemple, des critiques qui les présentent comme n’étant pas de bonnes mères de famille. Elles doivent s’affirmer comme telles, quitte à faire semblant. Il y a là une grande pesanteur : les femmes sont renvoyées à ce rôle reproducteur, supposé « naturel ».

Des clubs de jeunes

Il y a un certain nombre de clubs d’enfants ou d’adolescents pendant la Révolution. Mais ils sont rarement pris au sérieux : il s’agit surtout de montrer que tous les sexes et toutes les classes d’âge constituent la Nation et participent aux fêtes révolutionnaires — les femmes comme les vieillards ou les enfants. Sauf que certains se prennent au jeu. Je pense à un club d’enfants d’une ville de province, dont on peut penser qu’il est constitué pour l’apparat : défiler en uniforme lors de certaines fêtes révolutionnaires. Mais ils écrivent à la municipalité, expliquant qu’ils voudraient élire leurs officiers. Quand on leur oppose un refus, ils s’obstinent et, à la fin, obtiennent gain de cause. Les choses avancent ainsi, à la marge.

De la même façon, tel club de femmes prend délibérément des adolescentes comme porte-paroles. Celles-ci se retrouvent à tenir des discours devant des sociétés populaires. Ça peut être folklorique ou extrêmement bureaucratique et encadré, comme ça a pu l’être dans les pays de l’Est, mais c’est parfois beaucoup plus libre. Et c’est d’autant plus intéressant que les femmes et les enfants ont un statut commun de mineurs. Le fait qu’il s’opère des rapprochements spontanés entre ces groupes n’est donc pas anodin.

Affirmation puis reflux

Du point de vue de l’histoire des femmes, la Révolution est une époque essentielle : il se passe tant de choses ! Et ce n’est pas limité à Paris ou aux grandes villes : la circulation des informations est intense et s’opère par des canaux multiples. D’un événement organisé par tel club de femmes à tel endroit, on trouve trace dans plusieurs journaux et sociétés à travers la France. Ça ne signifie pas que des clubs de femmes existent partout, mais personne ne peut ignorer qu’il en existe. Et tout le monde n’y est pas hostile : certains journaux en rendent compte de manière positive et encourageante. S’affirme ainsi dans une partie de la société un désir d’intégration des femmes. Mais à condition que ces dernières se moulent dans la vision essentialiste (les réduisant à un rôle de mère de famille) et paternaliste qui a cours.

Nous sommes actuellement dans une phase de réévaluation, à la hausse, du rôle des femmes dans la Révolution française. Ce qui pose d’autant plus question : comment se fait-il que ce mouvement d’affirmation des femmes disparaisse après la phase révolutionnaire ? Comment expliquer cette espèce de trou noir entre 1793 ou 1794 et 1848, durant lequel on a l’impression que les femmes ne participent plus à rien ? C’est en effet un vrai reflux qui commence en 1793, et qui s’accentue avec Napoléon et son Code civil — ce dernier bétonne pour longtemps le statut d’infériorité des femmes.

Le rôle confus des Marchandes de La Halle

Les clubs de femmes sont interdits en octobre 1793. Une interdiction qui s’inscrit, selon moi, dans un plan robespierriste et jacobin d’élimination (au moins politique) des Enragé(e)s. Robespierre fait le ménage à sa gauche. Il élimine d’abord les Enragés Jean-François Varlet et Jacques Roux, ainsi que Jean-Théophile Leclerc. Puis, usant d’un prétexte, il s’attaque aux Républicaines révolutionnaires.

Auparavant, les Républicaines révolutionnaires ont beaucoup insisté sur des questions symboliques de port obligatoire de la cocarde et du bonnet rouge. Ça a bien marché pour la cocarde, mais des réticences se sont faites jour à propos du bonnet rouge ; cette surenchère dans l’affichage, censée permettre de repérer les contre-révolutionnaires (ceux qui ne l’arborent pas), commence à fatiguer une partie de la population. Dont les marchandes de la Halle, un groupe disparate et assez étonnant.

Ces marchandes de la Halle sont pleines de contradictions, et entretiennent avec le pouvoir une relation aussi ambigüe qu’installée. Beaucoup d’entre elles ont participé aux journées des 5 et 6 octobre 1789, dite Marche sur Versailles, quand le peuple (dont une majorité de femmes) est allé chercher la famille royale pour la ramener à Paris. Mais ces marchandes sont aussi très attachées à la famille royale, avec laquelle elles cultivent des liens anciens — lors des présentations de vœux, elles étaient ainsi reçues à Versailles, où on leur offrait à manger et une gratification. Elles jouaient presque un rôle de fou du roi : leur vocabulaire poissard (un français grossier et imagé) amusait énormément la bonne société aristocratique.

Pendant la Révolution, ces marchandes se situent plutôt du côté du manche ; elles sont considérées, de façon générale, comme un facteur d’ordre. Sauf qu’elles se battent régulièrement avec les Républicaines-révolutionnaires : ces deux groupes se détestent. Et il s’agit de vraies bagarres ! Voilà le prétexte qu’attend Robespierre : il utilise — ou suscite — un énième incident pour régler leur compte à celles qu’il a dans le collimateur. Sous prétexte de rétablir l’ordre, le local de la Société des Républicaines révolutionnaires est investi. Et deux jours plus tard, le 30 octobre 1793, un texte est voté, qui interdit toutes les sociétés de femmes.

« Stériles comme le vice »

Dans ses notes, Robespierre revient sur la place des femmes dans la Révolution. Il explique qu’elles ont joué leur rôle, que certaines ont eu un comportement héroïque – et de fait, les héroïnes des 5 et 6 octobre sont reconnues comme telles, et ont leur banderole lors des fêtes et cérémonies. Il écrit aussi que les femmes ont leur place dans les sociétés populaires, où elles viennent faire leur éducation civique. Mais après, ce qui est sous-entendu c’est qu’elles sont priées d’y rester, à leur place ! Il a une formule horrible sur les républicaines révolutionnaires, qu’il juge « stériles comme le vice » ; une expression renvoyant à la morale et au difficile positionnement des femmes qui ne sont pas mères de famille.

Robespierre est un homme moderne, mais de son temps. D’un côté, il se veut assez libéral, reconnaît que les femmes ont une place dans la société. De l’autre, il y a chez lui quelque chose d’archaïque. Et ce qu’il croit être son intérêt politique (il le paiera de sa tête !) rejoint un fond très machiste.

Mais le décret d’interdiction des clubs ne peut mettre un coup d’arrêt à la présence des femmes dans les émeutes et manifestations spontanées : elles y participent encore en 1794. Et cette interdiction soulève aussi quelques protestations — des rapports de police indiquent que la loi, affichée à tel endroit, a été déchirée. Reste qu’il devient très difficile aux femmes de se réunir autrement que spontanément : c’est un vrai coup porté au mouvement féminin. Il faudra attendre 1848, puis la Commune, pour voir refleurir les clubs de femmes.

Aux armes !

Le programme des clubs de femmes parisiens de 1871 est le même que ceux de 1793 : armement, éducation, etc... Elles se bagarrent sur les mêmes thèmes.

Pendant la Révolution, la question des armes est une revendication forte des clubs de femmes. Elles réclament le droit de participer à la Garde nationale ou de pouvoir s’entraîner au maniement des armes. Individuellement, certaines s’engagent même dans l’armée. Mais elles en sont progressivement chassées à partir de 1793, sous le prétexte que trop de femmes suivent les armées ; une allusion aux prostituées accompagnant les régiments. Sous couvert de chasser ces dernières, on en profite pour évacuer aussi les combattantes.

Ces femmes combattantes restent marginales : 80 cas sont documentés, et j’en ai retrouvés 80 autres au fil de mes recherches. Mais ce qui est intéressant, c’est qu’elles sont parfois parfaitement intégrées, en tant que femmes, avec des galons, des décorations. Une vraie remise en cause de l’image de la femme traditionnelle. Et qui rencontre une sympathie d’une partie de la société. Une soldate démobilisée devant rentrer chez elle fait ainsi, sur le chemin, la tournée des sociétés populaires : elle y est reçue, on la fête, elle y prend la parole.

Cette autre image de la femme va être totalement niée dans la période post-révolutionnaire. Comme d’autres acquis de la Révolution. C’est qu’il faut mesurer le traumatisme incroyable que représente cette dernière. Pendant des décennies, toute l’énergie de production idéologique de la société visera à conjurer ces événements tellement incroyables qu’on a même du mal à se persuader qu’ils se sont produits. On a mis fin à une monarchie ! On a coupé le cou à la famille royale !

Une révolution matérialiste ?

La Révolution française n’est pas une révolution matérialiste, athée ; ce n’est même pas, au début, une révolution républicaine. Au début, une monarchie constitutionnelle se met en place, avec le soutien d’une grande partie du clergé. C’est seulement dans le courant de la révolution, à cause d’antagonismes et d’intérêts divergents, que les choses prennent une autre tournure. C’est fondamental : les processus révolutionnaires sont longs, et on n’en devine jamais la fin en regardant le début.

Quand le Roi prend la fuite en 1791 et qu’il est arrêté à Varennes, les autorités révolutionnaires hésitent à reconnaître ce que ça signifie. Elles commencent d’ailleurs par dire que le Roi a été enlevé ! Parce qu’elles se rendent bien compte de ce que ça implique : il va falloir aller plus loin. Tout recommence, c’est une nouvelle révolution. Elles ont ébranlé une société et s’aperçoivent qu’il faut repartir pour un tour. D’où cette espèce de dénégation, à la fois tactique et pour elles-mêmes.

Un bagage léger

Il y a un autre point fondamental : les gens qui sont acteurs de la Révolution française ont très peu de références. Tout juste peuvent-ils se référer à la Révolution anglaise, au début de l’indépendance américaine et aux philosophes des Lumières. Certes, ils ont lu Rousseau, reprennent largement sa vulgate posant que l’homme est né libre et que la souveraineté ne se partage pas. Ça n’est pas rien, mais c’est un bagage léger....

De notre côté, nous possédons de pleines bibliothèques de théories et récits révolutionnaires — sur 1789, 1830, 1848, 1871, 1936, etc. Ces dizaines de milliers d’ouvrages pèsent un peu sur nos épaules : nous avons l’impression que pour être révolutionnaire, il faut tous les connaître. Nous avons tous présents à l’esprit des figures du mouvement ouvrier révolutionnaire : des gens érudits, formés, sachant pourquoi ils agissent. Il s’agit là d’une figure du révolutionnaire qui s’est constituée petit à petit.
La Révolution française nous rappelle que des gens peuvent faire une révolution en croyant en dieu (quitte à ce que la révolution les change !), en portant des idées vagues et contradictoires. C’est ainsi : les révolutions sont faites par des gens qui, au regard des idéologies, sont toujours trop ceci ou pas assez cela C’est dans la pratique que les choses se décantent, que des rapports de force se créent, que de nouvelles pratiques émergent. Et c’est un constat que je trouve réconfortant pour le présent, et pour l’avenir !

Claude Guillon

Rengainez, on arrive ! dans Presse & Cité

lundi 16 septembre 2013 :: Permalien

Article paru dans Presse & Cité, septembre 2013.

Rengainez, on arrive !
un livre sur trente ans de crimes sécuritaires dans les quartiers

Mogniss Abdallah est un journaliste engagé. Appartenant à une génération, celle des années 1970, où l’extrême gauche tendance Mao/Libération dominait l’activisme, il brosse dans un livre récent, Rengainez, on arrive !, trente ans de crimes policiers et sécuritaires. Un portrait, jamais vu d’un pays qui n’en finit pas de maltraiter ses jeunes des nouvelles classes populaires.

« Rengainez, on arrive ! » : c’est le slogan d’une génération d’enfants d’immigrés. Mais c’est aussi dorénavant un livre glaçant qui, avec un mélange de colère froide, sans doute assagie par les ans, et de précision chirurgicale, nous plonge dans les soubresauts d’une histoire meurtrie. Mogniss Abdallah l’affirme d’entrée : il est « du côté des acteurs ». Pourtant, il réussit parfaitement à trouver le ton juste, la bonne distance, loin des polémiques qu’auraient pu porter bien des « rageux » de l’époque. Il parvient à rester factuel, même s’il est néanmoins mu par une saine indignation. Une distanciation que permet la saisie de la plume, quand on décide de poser un instant les armes après une longue, parfois trop longue, lutte.

Trente ans de combats antiracistes

Trente ans de combats contre les crimes racistes, sécuritaires ou policiers sont ici autopsiés, soit une avalanche de faits rarement (jamais ?) jusqu’alors mis en cohérence pour brosser un portrait en lettres de sang d’une époque sur laquelle peu de médias ont osé porter le regard avec autant de persévérance. Taoufik Ouanès, Lahouari Ben Mohamed, Thomas Claudio, Abdennbi Guemiah, Ahmed Boutelja, Malik Oussekine, Youssef Khaïf… des dizaines de noms de jeunes assassinés, essentiellement d’origine maghrébine, toujours « des cités ». Une litanie de forfaits qui donne la nausée parfois, commis contre une génération qui aspire seulement à vivre sur le sol où elle est née, et finit par crier : « On peut s’adapter à tout, mais pas aux coups de flingue. » Cela, c’est au début des années 1980. Elle finira par scander, dans les années 1990 : « Pas de justice, pas de paix », une décennie après une « Marche pour l’égalité et contre le racisme » finalement restée orpheline de sa victoire. Cela, dix ans avant les émeutes de 2005, émeutes portées par une nouvelle génération à l’esprit imbu d’un « pragmatisme éclectique aux repères brouillés », à en croire l’auteur.

Porter la plume dans la plaie

Assurément, pour un enfant de la période post-68, le fond de l’air n’est plus rouge… Pourtant, ce livre pour mémoire est loin de constituer la sèche nécrologie d’une génération victime du racisme. Il s’agit plutôt de l’infatigable chronique d’une lutte contre des individus qui confondent maintien de l’ordre et répression, et contre un système qui les protège. Chronique qui rend ses lettres de noblesse à l’objectif premier que se donne ce militant de toujours qu’est Mogniss Abdallah : celui du journalisme, lui qui a fondé « Im’média », première agence de presse de l’immigration, née dans la queue de comète de l’agence de presse Libération dans les années 1970. Avec, de toute évidence, la fameuse tâche que s’assignait Albert Londres : « Porter la plume dans la plaie ». Reste que ce Rengainez, on arrive ! est écrit comme un polar, et se lit comme tel : alerte, incisif, chaotique et haletant. Et pourtant, on est bien dans la réalité. On peine à croire que ses héros sans repos parviendront finalement à triompher de leurs obstacles incessants et de leurs ennemis, pour imposer à une société qui les brime ou, au mieux, les ignore, un récit où se mêlent besoin de reconnaissance, de mémoire et de justice.

 Aussi à lire : l’entretien avec Mogniss H. Abdallah

Wendy Delorme, par Yann Levy

jeudi 20 juin 2013 :: Permalien

Wendy Delorme — par Yann Levy.

Une photo que l’on retrouvera dans le magazine gratuit Gueule d’ange n°30, à paraître en juillet, et consacré à l’auteur de Marge(s).

La Commune n’est pas morte dans Libé

vendredi 14 juin 2013 :: Permalien

Chronique de La Commune n’est pas morte d’Éric Fournier, parue dans le cahier Livres de Libération du jeudi 6 juin 2013.

La Commune n’est pas morte, Éric Fournier

Si son histoire fut brève (mars à mai 1871), la Commune de Paris a fait l’objet d’intenses investissements politiques, qui traduisent une mémoire complexe, souvent conflictuelle, dont ce livre très informé retrace les différentes étapes. Jusqu’à la Première Guerre mondiale dominent surtout les « mémoires vives » : celles des Versaillais qui condamnent l’événement à l’oubli ou à la rédemption , celle des « revenants » qui inventent après l’amnistie la «  montée au mur », celle des républicains qui jouent la carte de l’apaisement conciliateur. De 1917 au centenaire de 1971, le Parti communiste, qui voit dans la Commune « l’aurore » d’une ère nouvelle, vampirise littéralement l’événement. Le drapeau fédéré trône dans le mausolée de Lénine, et c’est un de ses fragments que Gagarine emporte dans l’espace en avril 1961. L’aspect le plus neuf de l’ouvrage concerne les 40 dernières années : renouveau historiographique qui s’emploie, contre les approches téléologiques, à rendre la Commune à ses acteurs, souci d’intégration au « roman national », cannibalisme d’une extrême droite identitaire qui célèbre les « patriotes » de 1871, mais aussi permanence d’un discours versaillais, qui n’a jamais vraiment désarmé, et d’une lecture libertaire dont témoigne la belle couverture du livre, signée Jacques Tardi.

D.K.

Clément

jeudi 6 juin 2013 :: Permalien

Le mercredi 5 juin 2013, en sortant d’un magasin de vêtements, près de la gare Saint-Lazare, Clément Méric, jeune syndicaliste âgé de 18 ans et militant antifasciste a été battu à mort par des membres de l’extrême droite radicale.

Venu de Brest pour ses études à Sciences Po, il a été victime du contexte de violences d’extrême droite qui s’est développé ces derniers mois. Il est décédé des suites de ses blessures, dans la nuit, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.

Toutes nos pensées vont à sa famille et à ses proches auxquels nous exprimons toute notre solidarité.

Ses ami-e-s et camarades